Obligation de gagner
Il faut absolument nous engager davantage
On connaît mal les enjeux de cette guerre. Si les peuples européens les connaissaient vraiment, ils commenceraient à s’inquiéter sérieusement et à envisager l’avenir de manière plus radicale et plus volontaire. Alors, quels sont-ils ?
L’objectif de Poutine est de rendre à la Russie les vastes territoires qu’elle contrôlait au temps de l’URSS. Il en a donné la preuve en plaçant progressivement sous sa botte :
– l’Ossétie du Sud en 2008 (province de la Géorgie)
– l’Abkhazie en 2008 (province de la Géorgie)
– la Crimée en 2015 (province de l’Ukraine)
– et maintenant le Louhansk, le Donetsk, le Zaporijjia, le Kherson, (provinces d’Ukraine).
A quoi s’ajoutent le maintien sous contrôle réalisé avant son arrivée au pouvoir
– de la Transnistrie (province de la Moldavie)
– et de la Biélorussie dont le peuple, contrairement à ses dirigeants, rêve de l’Union européenne.
Pour apprécier la situation, il importe de savoir que Poutine est paranoïaque : cela se traduit par une méfiance excessive et irrationnelle envers les autres et surtout une incapacité psychologique d’avoir tort qui le conduit à privilégier sa personne en toutes circonstances. Il est rationnel ce qui permet d’entrevoir le sens de ses décisions. Intelligent, il profite comme au judo de la moindre faute de ses adversaires pour passer en force, sa méthode principale. Ainsi, il règne par la peur qu’il crée autour de lui. Par ailleurs, il ne peut concevoir l’OTAN et l’Union Européenne autrement que comme des agresseurs dangereux alors qu’ils ne sont que défensifs (ce qu’il est incapable de concevoir).
Parmi ses autres caractéristiques, Poutine n’a aucun sens moral. Et il est poursuivi par le Tribunal Pénal International pour ses décrets légalisant le rapt d’enfants ukrainiens réalisés systématiquement, à grande échelle. Si donc l’on additionne sa paranoïa, son absence de sens moral, son entourage de gens corrompus, la prison qui le menace, à quoi s’ajoute l’étendue de ses pouvoirs politiques et financiers, on doit comprendre qu’il est inarrêtable autrement que par la force.
Imaginons maintenant que les Ukrainiens ne parviennent pas à bouter les Russes de leur territoire : leur front se stabilise plus ou moins. Leur guerre s’épuise et se fige peu à peu avec ou sans négociation à la frontière des derniers combats. Il en résulte deux faits importants :
– Le premier est un renforcement de la position personnelle de Poutine dont la propagande glorifiera outrageusement sa conquête réussie d’une partie de l’Ukraine.
– Le second est la montée en puissance de son armée qui mérite de moins en moins les reproches d’inefficacité qu’on lui faisait. Elle s’est entraînée et aguerrie. Son industrie de guerre est montée en puissance, elle produit actuellement 600 chars de combat et augmente sa cadence. Ses ressources pétrolières font tourner une économie de guerre. Elle pense à sa puissance militaire d’avant 1980 lorsqu’elle comptait 6 000 000 d’hommes, répartis dans 488 divisions d’infanterie et 35 corps blindés avec plus de 15 000 chars et canons autopropulsés. Sa nouvelle réputation est méritée, elle fait peur.
Si donc le statuquo perdure et que l’Ukraine ne reprend pas entièrement et rapidement son territoire, la Russie disposera d’un chef d’État renforcé et soutenu par une armée de plus en plus puissante qui fera d’autres annexions et mettra le monde dans un chaos indescriptible sous la férule de dictateurs ne connaissant que la force.
Ainsi, lors d’une prochaine et probable expansion russe (annexion, mise au pas…), par exemple de la Moldavie ou de la Géorgie, qui osera s’y opposer militairement ? Il sera toujours plus raisonnable de laisser faire que d’enclencher un conflit mondial. C’est ainsi qu’on raisonnait à Munich en 1938 lorsque Hitler avait annexé l’Autriche et les Sudètes, province de Tchécoslovaquie. Ensuite viendra le tour de l’Arménie, de l’Azerbaïdjan, du Kazakhstan, du Kirghizistan, de l’Ouzbékistan, du Tadjikistan et du Turkménistan. Plus encore si Trump est élu, le sort des Pays Baltes ne sera même plus garanti car Poutine estime qu’ils sont russes.
Telles sont les raisons qui nous obligent, nous Européens, à donner rapidement aux Ukrainiens tous les moyens (et je dis bien tous) de bouter les Russes entièrement hors de toutes les zones qu’ils ont conquises. Plus on attend, plus ce sera difficile. L’enjeu est gigantesque. Il le sera doublement si nous avons à le faire sans les Américains menacés par les courtes vues de Trump.
L’heure est grave. J’avais préparé ce texte en décembre 2023 alors que nous préparions joyeusement la nouvelle année ? Impuissant, je pensais à Munich dont Churchill disait : « Entre la guerre et le confort, vous avez choisi le confort, vous perdrez le confort et vous aurez la guerre ».
Aujourd’hui, grande nouvelle, quelques phrases du Président Macron semblent ne plus exclure l’engagement de l’UE.
Et fait nouveau, j’ai été confirmé dans cette idée par l’avis de deux généraux, entendus ce 17 février 2024, dans l’émission sur LCI de Darius Rochebin.
Le Général Gennady Gudkof, ancien député de la Douma, chef de la commission sécurité du parlement et ancien Colonel du KGB, dit ceci : « Poutine n’a peur que de sa propre mort et tout ce qu’il fait n’est destiné qu’à conserver son propre pouvoir pour rester en vie. Pour lui, la défaite militaire signifie la perte de son pouvoir. Il n’a pas l’intention d’utiliser l’arme nucléaire mais dans quelques années les choses pourraient évoluer. Aujourd’hui, c’est un bluff, du chantage. Il ne peut plus conserver son pouvoir sans la guerre. Et si celle-ci s’arrêtait, il en lancerait nécessairement une nouvelle contre la Moldavie, contre les Pays Baltes, contre l’Arménie, et probablement même contre le Kazakhstan… Nous devons comprendre que Poutine ne comprend que le langage de la force, il ne comprend pas d’autre langage. En 2019 il n’était pas sûr de conserver son pouvoir et c’est pourquoi il a lancé cette guerre en Ukraine. Et si la guerre actuelle lui permet de conserver son pouvoir politique, il lancera une nouvelle guerre et utilisera la menace nucléaire. Il faut comprendre que si nos démocraties ne gagnent pas rapidement la guerre contre le poutinisme, nous aurons alors une guerre d’envergure beaucoup plus grande. Si l’Ukraine perd cette guerre, les Européens devront envoyer leurs soldats contre la Russie. Il faut donc le faire dès maintenant car plus on attend plus ce sera difficile et plus le risque nucléaire deviendra réel. L’Europe n’a pas encore compris le danger. C’est maintenant que le destin de l’humanité se décide, soit la civilisation se développera, soit elle sombrera partout dans des conflits : le monde entier sombrerait dans le chaos d’une grande guerre. Et là, la France a un grand rôle à jouer, comme aussi bien sûr l’Angleterre et les États-Unis. »
Pour le Général Yakovleff, ancien vice-chef d’état-major du Shape (OTAN), « Nous sommes incompétents vis-à-vis du problème de l’Ukraine car nous n’avons pas encore compris que nous avons changé de monde ; nous sommes dans un monde malveillant ou des divisions circulent avec des divisions blindées alors que nous sommes endormis, (la belle endormie !) et que le temps travaille contre nous. « L’ours est dans la cuisine et nous cherchons nos pantoufles ». Mac Carthy disait « Toute défaite tient en deux mots : trop tard ». Il nous faut du temps pour prendre des décisions collectives alors que Poutine n’a pas ce handicap. Dans un dernier discours, il ne pense pas qu’aux armements, il pense déjà au besoin d’enfants qu’aura besoin son pays ».
Ces avis ont été confirmés le lendemain dans l’émission « C dans l’air » par Guillaume Ancel et François Hugeux, tous deux excellents spécialistes des conflits internationaux. Et quelques jours plus tard par des sages comme Jean-Dominique Giuliani, Jean-François Colosimo et le Général Patrick Dutartre.
Ma conclusion est nette : au plus tôt, nous devons envoyer nos militaires soutenir les militaires ukrainiens. Avec les pays européens et le Royaume-Uni, nous devons en assumer les conséquences et accepter tout ce que cela implique dont j’ai bien conscience. Ne plus avoir peur.
J.M. 6 mars 24