André, mon frère


André, mon frère

André, mon frère, tu n’es plus. Tu es parti ce 7 juillet 2020 à la suite d’une terrible maladie. 

Né le 1er septembre 1938, tu étais un produit d’avant-guerre comme on disait durant la guerre pour parler d’un produit de qualité. Tu étais le 4° d’une famille qui avait un enfant de plus tous les 13 à 18 mois. « C’est le bon Dieu qui les donnait » disait-on car on ne connaissait pas encore les process de régulation des naissances. Après toi il y en eut encore 3 autres, mais 4 ans plus tard seulement car les aléas de la guerre interrompirent la série. Alors, en tant que quatrième d’enfants du même âge, tu avais fort à faire pour être à la hauteur des jeux des autres. Cela ne te fit jamais peur, tu suivais vaillamment les plus grands. Malgré tes 2 ans ½ de moins que moi, tu nous suivais partout avec ton petit vélo et tu jouais à égalité dans tous nos jeux et bagarres. Combien de fois ne nous sommes-nous pas battus à coups de poing ou en nous roulant par terre au point de faire fondre en larmes nos petites sœurs ? Cela n’empêchait pas qu’au fond on s’entende bien et qu’on soit toujours ensemble. A sept, on ne pouvait pas avoir chacun sa chambre et nous avons presque toujours fait chambre commune ce qui impliquait, au-delà des batailles de polochon et autres rapports de force, pas mal de mise en commun et de connivence. 

Plus tard, cette confiance entre nous a perduré et, lors de longues marches en montagne, nous avons souvent parlé à cœur ouvert. J’en garde un souvenir ému.

Avec le recul, je pense maintenant que cette difficulté pour toi d’être toujours en compétition avec des plus grands t’a endurci et t’a donné la souplesse de caractère que nous connaissons. 

Voici comment je l’ai dit lors de la cérémonie d’adieu à l’église de Marseille, « …Jeune, tu étais un sportif naturellement très doué. Notamment en athlétisme où tu brillais au lancement du disque, du javelot, au saut en hauteur et dans tous les sports qui exigeaient de l’influx nerveux. Brillant au basket par ta rapidité, ta détente et ta précision, tu avais permis à ton équipe d’être championne de France, en cadets et en juniors.
Mais je veux surtout parler de tes qualités humaines et de camaraderie. Tu aimais la vie, les amis, la gaité, les moments d’échange vrais. J’aimerais surtout faire ressortir trois qualités que tu additionnais avec bonheur :
la délicatesse – la générosité – et le courage.
Que Dieu, en qui tu avais mis ta confiance, te garde en paix pour toujours ».

Je serai bien incapable de raconter ta vie, d’ailleurs ses acteurs sont encore en vie et en connaissent plus que moi mais, avant de parler de ta fin de vie qui ne fut pas banale, je peux en donner quelques images. 

Petit, tu amusais bien tes frères et sœurs avec quelques petits défauts de langage comme « le po plafond » pour parler simplement du plafond, « mon p’tit caineçon » pour parler de ton caleçon, etc. Et « ta chandelle » comme on disait pour parler de la goutte au nez que tu ne mouchais jamais… au point que papa te menaçait de « l’allumer » avec son briquet, ce qui amusait tout le monde. Dès lors, tu craignais cet allumage et dès qu’il portait la main à sa poche, tu détalais pour chercher un mouchoir. Ah, que la vie fut dure pour le plus petit d’une fratrie sans pitié ! Mais passons aux choses sérieuses.

A part le basket, tu n’avais pas un bon souvenir de tes 8 années de pension au collège Saint Joseph d’Épinal. Tu fus plus heureux à Paris durant tes années étudiantes. Je t’avais trouvé une chambre d’étudiant idéale en ce sens que tu y étais un peu choyé par une vieille dame, toute heureuse d’avoir un peu d’animation chez elle. Seul problème à mes yeux, elle était située dans la rue Saint Denis, célèbre pour ses trottoirs et j’en portais la responsabilité malgré la solidité de notre éducation. Tes amis racontent leurs bons souvenirs de vacances avec toi comme ces camps de jeunes ouvriers à Guillestre puis Argelès, ou cette fameuse virée en Andalousie avec ta sœur Monique et un ami pour reconduire en 2 CV deux jolies Espagnoles où, sans le sou, vous avez, pour ainsi dire, dormi sous les ponts mais passé des jours merveilleux à visiter l’Espagne. Je pourrais aussi parler des vacances passées chez nos oncles agriculteurs dans la Somme pour les aider dans leurs durs travaux de moisson ou de ramasse patates. A deux, on déblayait… et on ne demandait rien.

Ta carrière professionnelle fut une réussite. Après ton diplôme d’ingénieur des Travaux Publics, tu avais fait une année d’étude supplémentaire au Costic qui, te classant expert dans le domaine des techniques de chauffage, climatisation et plomberie, te permit de faire une brillante carrière à l’OTH (Omnium Technique de l’Habitat). A Avignon d’abord comme ingénieur d’études, puis à Marseille comme chef de projets, puis à Nice et à Metz comme directeur d’agences. Mais ta plus grande réussite fut de créer ta propre affaire.

Connaissant bien le fonctionnement des milieux du bâtiment, tu décidas courageusement de te mettre à ton compte pour devenir ingénieur conseil et plus précisément « Conseil en maîtrise d’ouvrage ». Autrement dit, à ceux qui voulaient construire ou se lancer dans de grandes opérations immobilières, tu proposais de réduire leurs coûts en les aidant tout au long de leurs choix et de leurs travaux. Ainsi, en alliant compétence et qualités relationnelles tu fus reconnu et apprécié, et ce fut un succès qui te permit d’assurer tes vieux jours et de prendre une bonne retraite. 

Pour la retraite, avec Régine tu décidas (un peu à contre cœur) de vendre « ta » chère maison du Castelet blottie dans les pinèdes et les saveurs provençales, et de créer votre nouveau nid à Marseille. Superbe appartement, bien situé, tu t’y sentis quand-même à l’étroit et tu te lanças dans des activités bénévoles de gestion immobilière fort utiles dans lesquelles tu donnas beaucoup de toi-même. Voir en annexes les témoignages de J-P Sabatier et de Nicole Marichez. 

Heureusement, tu avais beaucoup d’amis dans des groupes de marche, de bridge où tu étais apprécié et bien intégré. Non seulement tu avais pris quelques pointes de l’accent local mais aussi l’esprit. Il suffisait de jouer à la pétanque pour le comprendre : l’important était moins de gagner que de passer de joyeux moments. Ça ne t’empêchait pas de toujours gagner… ou presque ! Quand-même… c’est pas parce que t’es plus là que je dois en rajouter ! Mais rien à faire, tu étais joueur dans l’âme. Toutes les occasions étaient bonnes et, lors de nos promenades, nous étions toujours en concurrence pour, d’un jet de pierre, atteindre un arbre à 20 ou 30 mètres, tenir plus longtemps en équilibre sur un tronc d’arbre, faire le plus de ricochets, etc. Même après 70 ans, c’est à peine si on arrêtait nos bêtises.

C’est avec ces groupes d’amis Marseillais que vous vous retrouviez souvent en vacances d’été au Monêtier-les-Bains au-dessus de Briançon pour faire de magnifiques ballades en montagne et passer de bonnes soirées. En fait tu aimais plus la montagne que la mer et je te demandais pourquoi tu avais choisi d’habiter au bord de la mer alors que tu n’aimais pas l’eau !

Ayant vécu dans d’autres régions de France, tu remarquais bien les différences de mentalité. Comme ce maire de Fréjus que tu avais invité, en remerciement comme d’autres bons clients, à un joli voyage en Afrique et qui, de manière plutôt impolie, ne répondait pas à l’invitation alors que cela commençait à te poser des problèmes de réservation de voyage et d’hôtels. Malgré plusieurs relances téléphoniques de plus en plus proches, et problématiques pour toi, il s’excusait, parlait et tournait autour du pot sans se soucier de toi… pour finalement annoncer la veille qu’il viendrait et en plus avec une femme ! On imagine les problèmes de dernière minute, sans compter les surcoûts, à régler en catastrophe. Voilà, tu racontais cela pour illustrer un état d’esprit possible dans le midi, inconcevable ailleurs. Ce qui ne t’empêchait pas d’aimer Marseille et d’y avoir de merveilleux amis. Tu étais même fier de nous faire visiter ta ville… alors qu’au contraire dans les années 60 tu en avais honte pour sa négligence et son manque de propreté.

Tu aimais les réunions festives, en famille ou entre amis, pour tes 50 ans au Castellet, pour tes 80 ans en Camargue… Toujours très chaleureux. Tu aimais surtout donner, donner de toi par exemple pour aider une sœur à faire des travaux dans sa maison, donner généreusement et sans raison quelque cadeau au départ d’un visiteur, etc. Bref faire plaisir. Ça ne s’oublie pas.

Voilà André, noir sur blanc de quoi permettre à tes enfants, petits-enfants et lointains successeurs, de quoi se souvenir de leur aïeul au bon sourire. 

Je n’ai pas parlé de ta famille et de tes trois garçons que tu aimais tant. Ils te l’ont bien rendu, chacun dans leur style bien différents. Mais c’est une autre histoire. Celle-ci est celle de leur papa. 

Comme moi, ils regarderont ta photo… et penseront « il était vraiment beau ». Et ils en seront fiers.

Fin de vie

Nous voici en été 2018 en Provence, avec toi et nos épouses, comme souvent nous nous retrouvons quelques jours pour marcher et passer du bon temps. Nous logeons dans un mas près de Simiane la Rotonde et c’est là, en marchant que tu me parles de la maladie qui commence à s’installer en toi, la MSA ou Multi System Atrophy, une maladie rare qui voit tous les muscles (y compris ceux des systèmes neuro-végétatifs qu’on ignore) fondre progressivement et rendre de plus en plus impotent, lourdement et péniblement dépendant. Tu m’en avais déjà parlé quelques mois plus tôt mais sous forme de tous premiers symptômes d’une forme de la maladie de Parkinson. Là, c’est autre chose, c’est plus grave, moins connu et quasiment insupportable. La tête continue à fonctionner alors que des fonctions corporelles habituellement discrètes se font de plus en plus mal comme la déglutition, la respiration, etc. Il en est de même pour les fonctions musculaires visibles comme la marche, la parole, l’usage des bras et des mains, etc. Tu me dis que tu vas baisser progressivement avec de plus en plus d’assistance, puis être en chaise roulante, puis couché en permanence avec impossibilité de parler et de communiquer malgré la tête qui continuera à fonctionner. Bref l’enfermement total qui peut durer, accompagné d’une dépendance totale et d’une immense détresse psychologique en attendant la mort qui t’est annoncée comme inéluctable dans un délai de quelques années. Nous marchons dans les senteurs d’une soirée provençale, nos pensées nous rapprochent, l’instant est d’autant plus agréable que le futur est encore loin. Nous en parlons sous tous les angles. Puis vient le repas du soir, on parle d’autre chose. En soirée, on fait une dernière marche sur un plateau, la garrigue et ses senteurs au soleil couchant. Nos épouses sont toujours assez loin derrière, elles s’entendent bien. C’est là que tu me dis vouloir en finir avec la vie et trouver une solution douce pour éviter cette fin effrayante… pas maintenant bien sûr mais lorsque la situation deviendra insupportable. J’écoute, je comprends, j’approuve : « À ta place, je dirais la même chose… Oui, je t’aiderai… et jusqu’au bout… tu peux compter sur moi ». Nous garderons ce lourd secret. Nous profitons de l’instant, des silences et de notre entente. Tu dis à quel point mon soutien est important pour toi. 

Deux années ont passé. La maladie a avancé, lentement et sûrement. Nous communiquons souvent et régulièrement. Il me dit que chaque jour apparaît une difficulté supplémentaire. Il fait tout avec lenteur. Son élocution se ralentit. Il ne peut plus écrire. Au bridge il ne sait plus ranger ses cartes dans l’ordre. Il passe ses journées en soins ou en salles d’attentes médicales. Notre soeur Monique qui habite Bruxelles est au courant de sa volonté, elle approuve également. Nous avons avancé sur les possibilités de fin de vie par euthanasie, en Suisse ou en Belgique. La première voie semble plus simple, moins loin et avec un seul voyage alors que pour la Belgique, il faut deux voyages du malade espacés d’un mois au moins, le premier pour que deux médecins donnent leur accord en fonction du cas particulier, de sa gravité et de la certitude de son issue. Pour la Suisse, l’accord se fait à distance. Dans les deux cas, beaucoup d’échanges de documents et d’administration et un coût élevé justifié par des frais de transport de cercueil et autres frais d’hôpital. En Belgique on parle d’euthanasie qui signifie « mort heureuse » ou douce, c’est le médecin qui administre la solution létale dans une perfusion, alors qu’en Suisse c’est le patient qui porte lui-même la potion à sa bouche et cela s’appelle suicide assisté. Ce sont des détails dus à des législations différentes, mais ils ne sont pas neutres pour le malade qui est en situation dramatique et désespérée. En Belgique, on lui porte assistance pour mourir dignement alors qu’en Suisse la législation n’est pas allée tout à fait jusqu’au bout de sa démarche d’assistance, elle tolère tout juste ce suicide ! On joue sur les mots par pudeur. Au contraire, bravo les Belges. Vous assumez un véritable devoir d’assistance à personne en détresse.

En France, on n’est même pas à la hauteur de la Suisse et de loin. Il s’agit principalement d’empêcher les souffrances de fin de vie. L’assistance médicale par soins palliatifs ne peut commencer que dans les derniers jours ou dernières heures avant la mort. Elle se traduit, au mieux car ce n’est pas systématique, par l’usage de barbituriques qui mettent le malade en « sédation profonde » afin qu’il ne souffre pas ou par un arrêt très tardif, et officiellement interdit, des systèmes d’assistance respiratoire ou autres. Autrement dit, on néglige complètement les souffrances parfois extrêmement lourdes des mois ou années précédentes.

Ceci dit, on n’en est pas à faire de la politique. André est demandeur et sa volonté ne faiblit pas. On convient d’avancer dans les deux directions et de ne choisir que lorsqu’il faudra payer. Ainsi les choses s’éclaircissent peu à peu sur le plan des formalités. Monique nous aide grandement à comprendre le fonctionnement belge. C’est alors qu’André découvre l’existence de Claudette Pierret, une bénévole de l’ADMD (association pour le droit à mourir dans la dignité) qui habite Longwy à 7 km de la frontière belge et qui consacre ses disponibilités à informer des Français sur la législation belge et les modalités pratiques de fonctionnement. Avec elle, par téléphone, tout devient plus facile parce qu’elle connaît personnellement le docteur de Locht qui pratique lui-même l’euthanasie en concertation avec d’autres médecins et l’hôpital de Bruxelles. En vue d’un premier contact obligatoire un mois avant l’euthanasie, elle lui indique les dates disponibles pour l’hôpital et les deux docteurs. Ce premier voyage n’engagera à rien mais permettra de savoir si les médecins considèrent que le malade entre dans le cadre légal et s’ils acceptent de traiter ce malade. C’est important car dès lors, le malade est rassuré et sait qu’il n’y aura plus qu’à fixer une date définitive. André décide alors d’y aller car le déconfinement vient d’avoir lieu. Nous irons tous les deux et nous serons reçus par Monique qui nous pilotera dans Bruxelles. Le docteur principal d’André est au courant et accepte de fournir les attestations médicales qu’on lui demandera. Entre temps, Catherine a régulièrement des contacts téléphoniques de soutien avec son épouse Régine qui, bien entendu est au courant de tout mais, ultra-sensible comme on peut le comprendre, supporte mal qu’on en parle. Black-out sur le sujet. De mon côté, je me suis concerté depuis quelque temps avec son fils Alexis. Je lui relate la fin de ma dernière conversation téléphonique avec son père où, après lui avoir dit bon courage, il m’a répondu : « Non Jean, ce n’est pas du courage, c’est du désespoir ». Pas facile pour moi de prononcer ces mots au téléphone tant l’émotion est grande. Alexis soutiendra parfaitement son père dans sa démarche et, au dernier moment décidera même de l’accompagner à Bruxelles. Je lui cède donc ma place pour ce premier voyage afin d’alléger ce qui, finalement, n’est qu’une consultation. Je suis souvent au téléphone avec André et il me redit chaque fois à quel point mon soutien est important. 
Le déconfinement est arrivé au bon moment et le voyage en TGV de Marseille à Bruxelles se passe à merveille, si l’on peut dire, Monique toujours parfaite a tout prévu, logement, déplacements, repas… et le 3 juin les docteurs donnent leur accord de principe. Il ne restera plus qu’à attendre le plus tard possible pour le dernier rendez-vous. 

Depuis quelques mois, la situation médicale d’André est détestable, il n’en parle pas à n’importe qui parce que c’est sordide, ses sphincters ne fonctionnent plus, il doit vider sa vessie artificiellement cinq fois par jour, ce qui provoque des infections microbiennes et une augmentation des soins. Ensuite ce sont les intestins qu’il faut vider car les muscles du système digestif ne jouent plus leur rôle. Même les lavements ne suffisent plus car ils ne lavent pas assez loin dans l’intestin, les choses deviennent complexes et chaque jour lui apporte de nouvelles difficultés. Bref, il passe ses jours à faire face et tout cela l’épuise. L’aide bi-journalière des infirmières est indispensable. Heureusement, il peut encore marcher avec lenteur et précautions. Son système musculaire neuro-végétatif semble bien atteint et ça c’est ingérable.

Entre le lundi 30 juin et le mardi 31 juin, en contact avec Claudette Pierret pour préparer le dernier rendez-vous à Bruxelles, il apprend que, pour l’hôpital et les deux docteurs, la seule date possible est le 7 juillet, sinon il faudra attendre jusque mi-septembre. La secousse est forte car il faut se décider vite et sa première réaction est de penser « Tenir jusque-là ». Il est habitué à se battre. Il consulte ses proches. Alexis conseille d’attendre. Monique et moi conseillons au contraire de ne pas attendre et de profiter d’une sérénité encore possible. Je ne connais pas le conseil des autres mais finalement il décide d’accepter la date du 7 juillet. « Je t’accompagnerai ». La journée du Mercredi 1 juillet est pour lui une grosse journée car, en plus de ses problèmes et de sa lenteur de mouvements, il doit organiser tout cela seul : scanner et envoyer une liste impressionnante de documents nécessaires pour l’hôpital, les docteurs, le consulat de France, les pompes funèbres de Bruxelles et de Marseille, choisir enterrement plutôt qu’incinération malgré les complications, prendre les billets de train, etc. Le soir vers minuit il m’envoie un mail qui se termine par « J’apprends que Hervé et Alexis ont pris leur billet de train. Je ne sais quoi en penser. Je vais me coucher, très fatigué ce soir ». 

Quel courage ! Sa détermination ne faiblira plus. Du moins en apparence car j’imagine le débat intérieur… et mille questions, sur l’avant et sur l’après. Reste une courte semaine de derniers préparatifs, d’attente et de folles questions. Il dit ne pas être capable de réaliser. Il reçoit un mail chaleureux (voir en annexe) de Violette sa petite nièce qui connait la situation, il en est tout retourné mais ce petit mot tombe au bon moment pour l’aider à trouver, au-delà de sa détermination, une précieuse sérénité. Et à Alexis qui lui parle de son billet de train il dit, l’œil coquin : « Je n’ai pas pris de billet de retour ! ». Quelques jours plus tôt, au téléphone avec Monique pour préparer le voyage, ils en viennent à dire qu’il aura peu de bagages et tous deux partent dans un long éclat de rire.

Avec ses fils, il prendra une nouvelle fois le TGV Marseille Bruxelles et je les rejoindrai à Lyon. A Bruxelles, nous irons grâce à Monique dans un hôtel proche de l’hôpital et le docteur de Locht viendra faire le point vers 18h pour s’assurer de la permanence de sa volonté et indiquer le détail des opérations du lendemain. 

Le voyage se passe comme prévu. Les sièges qui sont deux par deux me permettent d’échanger longuement avec André autrement que par téléphone. Il est détendu et souriant. Nous nous relayons auprès de lui. L’occasion de dernières confidences. Dire ceci à untel et cela à tel autre… Le voyage ne paraît pas long et Monique nous attend.

A l’hôtel, le docteur vient le consulter et communique facilement avec nous tous. Avec beaucoup de tact, il explique comment cela va se passer, l’horaire, le lieu à l’hôpital où il faudra être présent dès 9h15, la pose d’une perfusion vers 11h45, l’arrivée des docteurs vers midi, la question renouvelée sur la volonté d’en finir, l’envoi du produit, l’endormissement rapide et dans la minute qui suit l’arrêt du cœur, sans douleur. Tout est clair et tout paraît simple. André s’étonne qu’il faille attendre si longtemps jusqu’à midi ? Pourquoi pas dès le matin ? Bon, c’est toujours comme cela, c’est le protocole. Sans doute pour donner le temps aux derniers instants, le temps de se rétracter, le temps d’échanger encore et encore, en famille. On le comprendra mieux plus tard car en fait cette « trop longue » attente passera vite, trop vite. 

André avait émis le souhait de manger un bon moules-frites. Après une soirée chaleureuse dans un restaurant de moules dont les Belges ont le secret, le lendemain à 8h30 (André est toujours discret sur les soins personnels très lourds qu’il a dû assurer), on quitte l’hôtel à pied, un petit km à faire, nous marchons lentement à la vitesse d’André qui est heureux de pouvoir encore le faire. Il fait beau et l’atmosphère est joyeuse, nous allons passer la matinée à quatre avec Hervé et Alexis. Monique nous a quittés la veille. A mon grand étonnement, il dit avoir bien dormi et sans cachet, simplement après avoir téléphoné à son vieil ami et confident Jean-Pierre Sabatier et fait quelques mots fléchés !

A l’hôpital, nous portons le masque et, après les formalités d’entrée, nous sommes dirigés dans un secteur très agréable où nous disposons d’un grand hall avec boissons, canapés et fauteuils confortables, à côté d’une belle chambre pour VIP disposant de tout le confort. Le masque n’y est plus nécessaire et nous sommes reçus par une dame qui explique bien et sera à notre disposition. Je suis frappé par la simplicité du moment, nous parlons de choses et d’autres comme en temps ordinaire. Quelle bonne idée ont eu Hervé et Alexis de venir, à quatre l’atmosphère est joyeuse et le temps passe vite. Une demi-heure avant midi, André s’allonge sur le lit comme pour l’essayer et nous continuons à échanger avec lui comme si de rien n’était. A Hervé qui le questionne, il dit en souriant qu’il ne peut pas réaliser. Il est serein et restera détendu et souriant jusqu’à la dernière seconde. Les docteurs arrivent à l’heure et tout se passe comme prévu, simplement… Échanges d’usage… il confirme sa volonté, reçoit le produit, s’endort aussitôt et moins d’une minute plus tard, le docteur confirme son décès. Nous sommes là comme plantés, le choc est immense et nous nous retirons chacun dans un coin pour respirer… émerger ! Par sa décontraction et son sourire calme, André nous a considérablement aidés. Ce n’était pas forcé… simple comme un départ en voyage. Comment a-t’il pu passer toutes ces heures sans montrer le moindre signe d’inquiétude ? Cela restera mon mystère, …pas forcé mais comme naturel… Un grand moment.

On avertit nos proches… et la vie reprend lentement. Monique vient nous chercher. Hervé et Alexis trouvent un train pour repartir le jour même à Marseille. Puis, le temps de régler certaines choses avec les pompes funèbres, je passerai une chaleureuse soirée chez Monique… Besoin d’en parler, de commenter, vider nos têtes… 

Le docteur de Locht est un type formidable, de grande délicatesse et gentillesse. A mon retour, j’achète son livre pour mieux le connaître et je découvre tout ce qu’il fait dans le domaine humanitaire. Donner l’euthanasie est pour lui une assistance à personne en graves difficultés, un devoir moral, une exigence. Et je comprends qu’un jour ou l’autre elle deviendra permise en France selon des modalités similaires à ce qui se fait en Belgique, en Hollande, au Luxembourg et dans plusieurs États américains. L’opinion publique est prête pour cela car, selon un sondage de janvier 2018 publié dans le journal La Croix, 89 % des Français sont favorables à une mort médicalement assistée, humainement choisie. Cela va bien plus loin que la loi actuelle dite Loi Cleys-Léonetti qui permet seulement d’abréger la mort en toute fin de vie et ne pouvait délivrer André des graves et longues souffrances qui l’attendaient. 

Au nom de la famille, il me aussi reste à remercier Claudette Pierret pour son dévouement extraordinaire, et sa compétence auprès d’André. Sans elle, son intelligence et sa gentillesse, je ne sais pas s’il aurait réussi son pénible parcours. Très chaleureux merci.

Annexes

LE FAMEUX MAIL DE VIOLETTE

Le 3 juillet. Cher André, 
Je pense beaucoup à toi et à tant de magnifiques souvenirs que j’ai à tes côtés !! Peu de gens peuvent se vanter de connaître leur grand-oncle… mais alors un grand-oncle formidable comme toi, j’ai une chance inouïe !!
André, le randonneur plein d’entrain avec sa casquette aux WE Pentecôte… !! Pour moi, tu resteras toujours le basketteur qui m’impressionnait et me faisait tant rire quand j’étais petite. Basketteur du dimanche certes… mais du samedi aussi !
Le joueur de pétanque, le Marseillais, le vrai !!
Tu resteras aussi le guide authentique et enthousiaste qui m’a fait visiter ta belle ville jusqu’à Notre-Dame de la Garde et aux Calanques… sans oublier de pointer du doigt chaque bonne adresse… !!
Oh oui, quel bon vivant tu es !! Les papilles aiguisées pour déceler les meilleurs talents culinaires !!
Sans parler des merveilleux barbecues que tu orchestrais à la perfection pour la cinquantaine de marmots Marichez, grands et petits ! 
J’aime ton sourire radieux et ton rire chaleureux qui ont toujours transmis tant d’énergie positive autour de toi !
André, je garderai de toi une image magnifique d’un bel homme plein d’énergie positive, de richesse humaine et d’humour, comme je t’ai toujours connu. Quelle merveilleuse vie tu as menée d’une main de maître !! Malgré les aléas de l’existence, tu as offert tant de sourires et de rires autour de toi !! (et tant de mots doux aux jolies femmes… hahaha) Quelle générosité !
Un jour tu vas aller rejoindre ta chère sœur Thérèse, qui, tu sais, compte énormément pour moi. Depuis qu’elle est là-haut, je sens qu’elle me protège et me donne tant d’inspiration. Je sens qu’elle est toujours avec moi. Alors n’oublie pas, quand tu la verras, de lui dire bonjour et merci de ma part, de lui dire combien je l’aime. Ce jour-là je vous saurai tous les 2 en bonne compagnie et vous continuerez de m’inspirer. Tu seras l’énergie dans mon bras droit à chaque rebond de ballon de basket et à chaque rebond dans ma vie tout simplement !!   
Aujourd’hui André, je veux te dire MERCI du fond du cœur, car tu es l’une des emblèmes sublimes de cette famille Marichez fantastique. MERCI et bon courage !! Ton sourire restera à jamais gravé dans mon cœur ! 
Violette, qui t’adore  

NOTRE DERNIER REPAS ENSEMBLE

LE TEMOIGNAGE DE SON AMI JEAN-PIERRE SABATIER

En ce qui concerne les activités d’André pendant sa retraite, voici ce dont je me souviens, en dehors de sa sollicitude active auprès de ses enfants et petits-enfants que chacun connaît bien et dont il tirait une joie sans égale.

Rôle de conseil auprès des services de l’Archevêché de Marseille.

Il s’agissait de faire le point sur le patrimoine immobilier de cette entité : il devait recenser les biens, apprécier leur état, préciser leur utilisation (occupation ou non, location éventuelle, prêt …) lister les personnes en charge de leur gestion (services centraux, associations, membres du clergé…) évaluer les aspects financiers liés à ces biens…

André a consacré beaucoup de temps à cette mission, il a découvert des situations qui auraient mérité d’être corrigées : immeubles occupés par des personnes étrangères à l’institution sans que l’on sache qui a autorisé ces occupations, absences d’un entretien minimal, absence de souci d’une gestion technique et financière correcte, etc.

Épouvanté par ce qu’il découvrait, André a tenté de faire adopter des procédures simples permettant de maintenir ce patrimoine en état et d’en limiter les coûts ; il s’est heurté à une inertie et un manque d’intérêt de la part des gestionnaires, et jusqu’au plus haut niveau, qui lui ont fait abandonner cette mission.

Administrateur de l’Association « Formation et Métier ».

Cette Association a été créée, dans les années 50, par un groupe de personnalités marseillaises adeptes d’un christianisme social ; cet aspect confessionnel s’est atténué depuis, mais il reste un fort désir d’utilité sociale envers les jeunes et les personnes handicapées. Elle gère actuellement 4 Lycées Professionnels dans les quartiers Nord, plusieurs entités de formation de personnes handicapées et une Maison d’Enfants à Caractère Social qui accueille des enfants que la vie a, pour le moins, bousculés. Elle compte à ce jour environ 450 salariés (y compris les professeurs des lycées).

André a eu 2 rôles : En tant que membre du Bureau, il participait aux décisions importantes de l’Association. Par ailleurs, disposant d’une grande expertise en matière de gestion technique des bâtiments, il a conduit plusieurs opérations de rénovation des locaux pour lesquelles l’Association ne disposait pas des compétences voulues. Il a apprécié ce rôle qui lui donnait l’occasion de garder le contact avec la technique et de rencontrer des gens à qui il savait apporter son expérience technique et humaine. Mais il aurait aimé bénéficier d’une plus grande confiance de la part des responsables de l’Association, qui conservaient quelques habitudes bien ancrées de travail en groupe restreint et immuable.

André a regretté un certain manque de convivialité dans l’association, avec en particulier des relations entre membres du Bureau limitées à l’aspect « professionnel ». Il trouvait l’association un peu « tristounette », un peu figée dans ses habitudes. Étant moi-même membre du Bureau, je dois dire que ces « reproches » étaient quelque peu justifiés.

Il a donc mis un terme à sa collaboration, en plein accord avec son Président.

Administrateur de l’Institut de la Cadenelle

Cette entité gère un très important centre de formation professionnelle, plutôt orienté vers les métiers de service, avec une forte prédominance des formations dans les secteurs administratif et tertiaire. André y a mis en œuvre ses compétences techniques et de gestion, dans un climat humain fait de confiance et de convivialité qu’il a beaucoup apprécié, probablement par ce que cela correspondait à sa manière de vivre. Il avait d’ailleurs, dans l’équipe dirigeante, des amis personnels de longue date.

Il avait commencé sa collaboration avec cet Institut il y a longtemps, probablement un peu avant son départ en retraite. Avec la maladie, il a été contraint de la réduire peu à peu, jusqu’à s’en détacher en début de cette année. C ‘est l’engagement qu’il a été le plus malheureux de quitter.

LE TEMOIGNAGE DE NICOLE MARICHEZ

J’ai eu la chance de travailler à plusieurs reprises avec André : Dans son entreprise à Marseille il avait fait appel à moi pour l’aider à recruter un adjoint, expérience intéressante qui m’a permis de découvrir l’homme professionnel et responsable, toujours respectueux des autres. La mission fut positive, le candidat recruté s’étant révélé un bon élément.

Plus récemment c’est moi qui ai fait appel à André dans mes activités bénévoles de présidente d’un établissement scolaire des Frères des Écoles Chrétiennes près de Lyon. Gros projet, gros budget : André m’a fait bénéficier de sa forte expérience dans la conduite de projets complexes, il est venu plusieurs fois me seconder dans des réunions techniques, à chaque fois avec une immense crédibilité auprès de mes interlocuteurs. 

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