En finir avec l’anonymat sur les réseaux sociaux
Lettre envoyée à la Commission européenne
Monsieur Thierry Breton, Monsieur le Haut Commissaire,
Je viens de lire l’article que vous a consacré « Le Point » n°2518 de cette semaine et je me permets de vous faire la remarque suivante.
Vos interviewers demandant si l’anonymat sera toujours assuré sur les réseaux sociaux, vous répondez :
« Oui. S’agissant des particuliers, nous conservons le principe de l’anonymat sur les réseaux sociaux. »
Par contre en début d’interview, vous affirmiez un principe que je trouve excellent mais qui se voit contredit dans l’affirmation précédente :
« J’ai pour principe que tout ce qui est autorisé dans l’espace public doit pouvoir l’être sur le Net. Et que tout ce qui est interdit dans la vie de tous les jours doit être également interdit sur le Net. C’est l’esprit des deux textes… »
Contradictoire, parce que dans l’espace public, une lettre anonyme est interdite et tous textes ou images diffusées au public sont sensés être signés ou identifiés. Cette exigence étant plus ou moins légalisée selon les pays, elle n’en fait pas moins partie des coutumes ou des obligations de la vie en commun. Il me semblerait donc logique et sain d’obliger tout émetteur sur les réseaux sociaux à signer leurs textes ou images. J’ai argumenté cette proposition lors du retoquage de la loi Avia sur mon blog.
Mais il y aurait encore beaucoup à dire et j’espère que vos services pourront aller plus loin dans l’analyse.
Qu’on laisse à tous la liberté d’expression est une grande richesse en Europe mais qu’au moins il ne soit pas permis de dire tout et n’importe quoi sous couvert d’anonymat. La qualité du débat public en serait grandement augmentée et, par répercussion, les cohésions nationales qui, aujourd’hui, subissent des assauts extrêmement lourds.
En vous remerciant de l’attention que vous accepterez de porter à ce message, je vous prie d’agréer, Monsieur le Commissaire, l’expression de ma profonde considération.
Jean Marichez
2 réponses à “En finir avec l’anonymat sur les réseaux sociaux”
Je vous remercie pour votre lettre du 29 novembre 2020 adressée au commissaire Thierry Breton, qui m’a demandé de répondre en son nom.
Nous nous félicitons que vous adhériez au point de vue du Commissaire selon lequel ce qui est légal hors ligne devrait être légal en ligne et vous remercions pour votre analyse du rôle de l’anonymat à cet égard.
La présidente de la Commission a clairement indiqué que « pour nous, la protection de l’identité numérique d’une personne est la priorité absolue ». Il n’existe actuellement aucune preuve irréfutable qu’une politique de communication « sous sa véritable identité » permettrait de lutter efficacement contre l’utilisation abusive des plateformes en ligne. En revanche, il existe des éléments1 prouvant que l’anonymat en ligne peut protéger les victimes d’abus et les communautés vulnérables. La Commission estime qu’il est possible de prendre des mesures proportionnées et efficaces pour lutter contre la diffusion de contenus illicites en ligne sans imposer de règles strictes en matière d’anonymat.
Comme vous, nous cherchons des solutions pour lutter contre la diffusion de contenus illicites tout en protégeant la liberté d’expression. La proposition de la Commission relative à une législation sur les services numériques2 constitue une réforme globale en faveur de la responsabilité et de la transparence dans l’espace en ligne.
Elle introduit un ensemble d’obligations de diligence pour les prestataires de services intermédiaires afin de garantir la sécurité des utilisateurs en ligne tout en offrant des garanties solides pour protéger les droits fondamentaux. Si l’obligation d’identifier tous les utilisateurs en ligne est jugée disproportionnée, la proposition prévoit d’imposer aux plateformes en ligne l’obligation d’assurer la traçabilité des professionnels utilisant leurs services (« connaissance de la clientèle »). Cela garantira aux consommateurs un environnement sûr, transparent et fiable et dissuadera les professionnels qui utilisent les plateformes de manière abusive pour vendre des marchandises dangereuses ou contrefaites. Lorsque les fournisseurs de plateformes en ligne ont connaissance d’une infraction pénale de nature à menacer la vie ou la sécurité des personnes, ils seront tenus de le signaler aux services répressifs, afin que des mesures d’enquête puissent être prises rapidement.
En outre, la Commission continue de promouvoir une identité numérique fiable pour tous les Européens et a annoncé à cet effet une révision du règlement relatif au service d’identification et de confiance électroniques (eIDAS) afin d’en améliorer l’efficacité et d’étendre ses avantages au secteur privé.
Nous tenons à vous remercier d’avoir pris le temps de nous faire part de votre point de vue.
Veuillez agréer, Monsieur, l’expression de mes salutations distinguées.
Signé par voie électronique le 12/01/2021 22:03
Prabhat AGARWAL Chef d’unité
Réponse envoyée à Monsieur le Haut-Commissaire Thierry Breton,
et Monsieur Prabbat Agarwal,
Je vous remercie de votre réponse à ma lettre du 29 novembre demandant à la commission européenne de légiférer en vue d’interdire l’anonymat sur les réseaux sociaux. Je l’ai publiée sur mon blog : jeanmarichez.fr
Cependant, les arguments développés méritent débat.
Ainsi, vous dites que la présidente de la Commission a clairement indiqué que « pour nous, la protection de l’identité numérique d’une personne est la priorité absolue ». Or si j’accepte cette protection (encore faut-il préciser de quoi il s’agit), je ne peux accepter qu’une personne puisse donner une information qu’il sait fausse sans la signer de son nom véritable. En effet, cette règle fonctionne hors ligne où l’on n’admet pas le mensonge, la lettre anonyme, la fausse information consciente…, mais où chacun est libre de s’exprimer, de mentir, d’exagérer, de dire du mal, etc. Hors ligne, la liberté d’expression est totale et c’est important, mais sauf cas très particuliers, on peut toujours savoir qui s’exprime. Pour moi, l’identité numérique est le lien entre le nom d’un possesseur d’ordinateur et l’IP de cet ordinateur. Elle n’a rien à voir avec le contenu des messages émis par un humain sur cet ordinateur (ou tablette ou iphone…). Ce lien est connu des seuls professionnels, ou de la justice à sa demande, il doit être protégé. C’est ainsi que j’entends la priorité absolue ci-dessus évoquée par la présidente de la Commission.
Vous dites ensuite qu’il est possible de prendre des mesures efficaces pour lutter contre la diffusion de contenus illicites… C’est exact mais le problème est que ces mesures sont lourdes à mettre en œuvre à grande échelle et que, par conséquent, elles n’interviennent que rarement, alors que les fake news, les mensonges et autres contenus indésirables interviennent journellement par centaine de millions, faussant radicalement les opinions et transformant la société en profondeur dans un sens délétère. La solution ne peut donc pas venir de seules sanctions a posteriori forcément rares, mais d’une plus grande responsabilisation des auteurs, c’est-à-dire à la source. Celle-ci n’existe pas aujourd’hui. Elle peut être efficace à deux conditions : – Une législation et un code qui indiquent les bonnes pratiques – Un barème clair de sanctions aussi automatique que possible (ce qui est le cas par exemple lorsque quelqu’un ne signe pas ou signe d’un faux nom alors que son fournisseur d’accès connaît son vrai nom, comme aussi Google, Facebook et autres, donc aussi la police) et soutenu par les professionnels des plateformes. En effet, comment peut-on actuellement espérer progresser alors que les bonnes et mauvaises pratiques ne sont même pas définies ? Et alors que l’impunité est totale.
D’autres faux arguments circulent actuellement concernant ce problème. Par exemple on entend que le fait de s’exprimer sous sa véritable identité sur Internet n’a qu’un effet très modéré sur la violence des propos qui peuvent y être tenus. Mais cet argument ne concerne que la violence des propos alors que notre problème est beaucoup plus vaste, il concerne les fausses informations et surtout l’absence de sentiment de responsabilité des auteurs qui se comptent par milliards.
On entend aussi qu’on n’est jamais réellement anonyme en ligne. Mais cela n’empêche pas aujourd’hui des milliards de gens de dire n’importe quoi en toute liberté, allant par exemple jusqu’à détruire l’honneur de quelqu’un. Or dans la vie non numérique, sauf lettre anonyme ou autre processus vicieux généralement condamné, cela se fait ouvertement : on connaît celui qui parle ou celui qui écrit.
J’entends enfin, que la « levée progressive de toute forme d’anonymat » nécessite, pour être effective, la mise en place d’un système de contrôle social similaire à celui de la Chine, qu’aucune démocratie ne pourrait décemment adopter. Mais cet argument est fallacieux car il parle de « toute » forme d’anonymat ce qui comprend le vote qui est anonyme en démocratie, les délibérations des jurés en cour d’assises… Or ce n’est pas parce que certains aspects de la vie démocratiques justifient l’anonymat que toutes les formes d’anonymat sont justifiées.
Au vu de tout cela, la proposition de la commission me semble très insuffisante. Elle permet de traquer les abus mais, d’une part, ceux-ci interviennent par centaines de millions chaque jour, d’autre part elle laisse à quelques contrôleurs la charge de distinguer ce qui est abusif alors que ma proposition laisse cette charge aux millions d’émetteurs, et ceci sans réduire pour autant la charge des contrôleurs.
Pour conclure, je soulignerai, d’une part l’excellence du principe majeur qui vous guide selon lequel ce qui est légal hors ligne doit être légal en ligne, d’autre part l’extrême gravité des conséquences des dispositions qui seront prises.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Commissaire, l’expression de ma haute considération.
Jean Marichez