Frontières orientales de l’Union Européenne
L’UE doit définir clairement et définitivement ses frontières orientales. Tout le monde y gagnerait.
Ce texte extrait d’un article écrit dans les année 2000 n’est plus d’actualité
mais donne à réfléchir pour l’après guerre d’Ukraine
Tout pays, toute institution politique ne peut vivre sans frontières claires – stables – protégées. C’est une nécessité pour l’UE qui, ayant établi des règles qui touchent tous les domaines de notre vie en commun, a besoin de la confiance de ses peuples pour qu’elles fonctionnent. Aujourd’hui, les frontières de l’Union ne sont ni stables compte tenu des évolutions en débat avec des pays candidats, ni suffisamment protégées notamment des immigrations économiques. Sans progrès décisifs dans ces deux domaines, l’Union ne pourra survivre.
L’Ukraine n’aurait pas connu ses récents conflits avec la Russie si l’Union européenne l’avait clairement exclue de ses limites géographiques orientales. Le flou que nous avons entretenu sur le sujet a laissé penser aux Ukrainiens de l’Ouest qu’ils avaient la possibilité d’adhérer à l’Union, créant de ce fait de graves divisions internes avec leur Est russophile. En effet, Kiev est le berceau de la Russie et même si ces deux pays ont de graves différends, ils sont liés par leur histoire, leur langue et leur culture. Des deux côtés le sujet est ultra-sensible et traine de lourdes casseroles comme la grande famine ukrainienne de 1932-33 causée par les Russes. Toute idée de rapprochement de l’Ukraine vers l’UE se traduit par une crispation de l’Est de leur pays et par un casus belli pour la Russie. Le désir d’unité des Ukrainiens, qui est réel, est en conflit avec leurs tendances europhiles et russophiles, au point de provoquer une guerre civile.
Si l’Union européenne avait pu dire depuis longtemps qu’elle considérait l’Ukraine à la fois comme indépendante et partie d’un ensemble culturel russe, et qu’elle n’avait aucune volonté d’extension vers l’est de la Roumanie et de la Pologne, cela aurait largement détendu nos relations avec la Russie et plus généralement les relations Est-Ouest. Bien entendu, cela ne se donne pas en cadeau, cela peut et doit se négocier contre de sérieuses garanties de paix.
Il importe de comprendre que la Russie nourrit une peur viscérale de l’expansionnisme européen en Ukraine, en Biélorussie, en Moldavie, en Géorgie et en Arménie, elle s’en protège comme de la peste par mille stratagèmes. Car elle craint moins Bruxelles que les pulsions populaires et les mouvements internes qu’on rencontre aujourd’hui dans ces cinq pays forcément séduits par nos processus démocratiques, nos libertés, nos formes juridiques, notre respect des Droits de l’Homme et intéressés par les « Politiques européennes de voisinage » que nous y avons développées sous forme d’aides au développement sans considération des sensibilités existantes des ambiguïtés et des revers de cette politique, par méconnaissance des réalités politiques et sociales.
Le discours européen devrait prendre en compte ce souci sous la forme : « Nous avons besoin d’une Russie forte et d’un ensemble économique russophone riche et pacifique. Nous proposons une large négociation pour définir ensemble des frontières communes stables. »
Réussir une telle négociation serait une importante source de paix. L’objectif pourrait être de solidifier les frontières orientales actuelles des Pays Baltes, de la Pologne, de la Slovaquie, de la Hongrie, de la Roumanie, de la Bulgarie et de la Grèce. Et de pérenniser le statut de Kaliningrad. Nous nous engagerions à pas les étendre plus loin. Concernant la Moldavie où rien n’est clair, nous demanderions cependant une négociation avec toutes les parties prenantes afin d’y fixer des limites claires et stables. En contrepartie, la Russie s’engagerait à ne pas modifier sa frontière occidentale actuelle avec les Pays Baltes et à établir avec nous une dynamique de paix à Kaliningrad ».
Plus au sud, la Turquie n’a rien à faire dans l’UE pour plusieurs raisons, la plus simple est qu’elle n’est pas en Europe mais en Asie. C’est une raison suffisante parce que son entrée ouvrirait la porte à toutes sortes de demandes inacceptables ou exotiques. (Par exemple, celle du Maroc, refusée en 1987 alors que le détroit de Gibraltar est comparable à celui du Bosphore).
La seconde raison est culturelle : la Turquie étant de culture musulmane aurait d’énormes difficultés à s’intégrer et nous poserait des problèmes insolubles en culture européenne. Ceux qui doutent de l’importance de cet argument ne savent pas que, plus qu’une religion, l’islam est un projet politique, inscrit dans ses gênes et dans ses textes, dont personne ne peut sortir. Les chrétiens représentaient encore 20 % de la population turque au début du XXe siècle : ils ne sont plus que 0,2 % aujourd’hui.
Par contre, et c’est un troisième argument, la Turquie est essentielle à la stabilité du Proche-Orient, non seulement parce qu’elle en est le château d’eau et que les problèmes d’approvisionnement en eau vont devenir de plus en plus importants, mais parce qu’elle en est l’un des acteurs majeurs avec L’Iran. Rien ne peut se faire sans elle en Irak, en Syrie, en Arménie, en Géorgie, etc. Ils ont en commun de nombreux et lourds problèmes à traiter qu’ils ne traiteront qu’ensemble, ne serait-ce que le problème des Kurdes à qui il faudra bien finir par donner un territoire, ou celui des pipelines…
La dernière raison est plus pragmatique : la Turquie ne pourrait entrer dans l’UE sans un vote unanime de ses pays membres, ce qui est à l’évidence impossible.
Ne pas prendre acte de ces raisons ouvre la porte à toutes les ambiguïtés et à tous les chantages sources de problèmes. Au-delà des frustrations que pourraient provoquer une rupture des négociations avec l’UE, une clarification des frontières futures excluant la Turquie serait source de biens meilleures relations à long terme. Il est souvent plus facile de s’entendre avec des étrangers qu’avec des amis frustrés.Le discours européen serait le même qu’avec la Russie : « Nous avons besoin d’une Turquie forte et en paix ». Nous lui proposons une large négociation pour définir ensemble des relations stables qu’il nous semble possible d’établir à partir d’accords économiques, politiques et militaires soutenus par une dynamique de relations positives formalisée par des rencontres régulières.
Une réponse à “Frontières orientales”
Ce que tu écris est toujours d’une extrême clarté, digne d’avoir été pondu par un diplomate ou un conseiller du Président.
Il est évident que ce problèmes des minorités constitue une poudrière prête à s’embraser.
Il me semble qu’il est mal compris en France. Lorsqu’il y a un contrepoids comme chez les Belges, la marmite ne devrait pas trop exploser. Dans tous ces conflits latents, le danger réside aussi dans le fanatisme religieux et notamment avec le réveil de l’islamisme revanchard basé sur une prétendue victimisation. Ton analyse de l’Ukraine est bien reprise dans « La Croix » de ces jours-ci et montre que Poutine joue sur la présence intimidante de l’armée aux frontières plus que sur la négociation avec les européens…. Alors les déplacements de Macron à Moscou et Kiev seront ils encore un coup de menton ? A suivre…
Comme d’habitude, l’analyse des faits existe, mais le courage politique est absent !
B.M.