Europe puissance
L’Europe sera puissante ou ne sera pas. Elle doit l’être pour la paix, pour s’améliorer elle-même, pour peser dans un monde qui en a bien besoin et pour faire face à l’énormité des défis actuels. L’impératif est absolu.
Pour la paix en Europe
Avant d’éclater, les guerres paraissent impossibles et on le comprend facilement tant elles paraissent déraisonnables. Pourtant, il suffit parfois de peu pour que les passions s’exacerbent et la guerre s’engage irrémédiablement. Quand l’horreur est là, on a du mal à comprendre et à relier l’aveuglement d’avant la guerre avec l’énormité de ce qui arrive. En France et dans la plupart des pays européens, peu de gens savent cela, et les générations actuelles n’ont pas conscience de l’horreur d’une guerre civile.
L’opinion quasi générale est que nous sommes durablement en paix et que la guerre est pour les autres, dans d’autres parties du monde. C’est une grave erreur. Les choses changent plus vite et plus dramatiquement qu’on ne le croit. Qui aurait prédit les printemps arabes de la Tunisie à la Syrie ? Qui aurait annoncé l’annexion de la Crimée par la Russie ? Qui pensait à l’occupation militaire du Donbass par les Russes ? Qui aurait parié l’élection d’un Donald Trump ? Qui aurait imaginé la volte-face dictatoriale et islamiste de Erdogan en Turquie ? Et qui, après la fin du communisme, avait prévu l’avènement du totalitarisme islamiste ? La réalité dépasse souvent la fiction et on aurait tort de croire à la paix éternelle en Europe. Aujourd’hui les guerres diffèrent totalement de celles du passé, elles sont bien plus souvent civiles et les victimes sont civiles.
L’Union, telle qu’elle est aujourd’hui conçue n’est pas en mesure d’assurer notre sécurité, elle ne dispose d’aucune structure de sécurité ou de défense digne de ce nom et individuellement, nos nations sont trop petites pour prendre des dispositions qui relèvent d’un niveau continental et supranational. Soyons clair : depuis que l’OTAN, c’est à dire les USA, ne garantissent plus la paix en Europe, notre continent est aujourd’hui sans défense. Nain politique dans un monde qui change à toute vitesse, comme jamais dans l’Histoire du monde, il n’est pas à la hauteur de nos besoins les plus élémentaires. Imaginons seulement qu’à l’occasion d’un conflit mondial Chine-USA qui verrait les Américains engagés autour de Taïwan, la Russie profite de la faiblesse européenne pour annexer les Pays Baltes… Bien des exemples de ce genre incitent à comprendre la nécessité et l’urgence d’une Union plus forte et organisée pour répondre à des besoins élémentaires. Des changements considérables et imprévus nous attendent dans l’avenir, ils nous obligent à construire d’urgence des structures continentales de stabilité et de paix.
Pour une meilleure gouvernance de nos pays
La qualité de nos gouvernements passe par des hauts et des bas, soit parce que nos élus, obligés de répondre aux attentes à court terme de leurs électeurs, sont conduits à négliger le long terme, soit parce qu’ils ne sont pas à la hauteur de leur fonction. Il est rare de disposer en tous pays de l’Union de grands dirigeants ayant à la fois une juste vision d’avenir pour leur pays et la capacité de la mettre en œuvre grâce à leur intelligence, leur charisme et leur courage, comme de Gaulle, Churchill, Mandela et bien d’autres… On ne peut éviter l’avènement au pouvoir de quelques extrémistes, idéologues ou dirigeants moyens, plus ou moins opportunistes. L’Union européenne répond à cette difficulté : elle établit un contre-pouvoir limitant les excès des pouvoirs en place, mais aussi une assistance et un cadre de gouvernance. La double gouvernance que, de fait, elle impose limite les écarts trop grands ou la bêtise de certains gouvernements. Nos démocraties disposent déjà de contre-pouvoirs avec leur parlement, leur appareil judiciaire, leurs électeurs et la société civile, mais à l’usage on s’aperçoit que ce n’est pas encore suffisant. Les pouvoirs des institutions européennes ont été voulus et votés par les pays membres et l’usage montre qu’ils ne sont pas de trop. C’est le cas par exemple lorsqu’un gouvernement ne respecte pas ses engagements, contrevient aux lois européennes ou commet des actes inacceptables. L’avènement au pouvoir d’un nouvel Hitler dans un pays de l’Union serait aujourd’hui un peu mieux encadré même si, a contrario, on peut regretter que l’Union soit encore trop faible face à de tels aventuriers.
Pour peser dans le monde
L’Europe doit être forte pour ne pas être marginalisée lors de décisions importantes par rapport aux grands pays comme les USA, la Chine, la Russie, l’Inde, le Brésil… Il n’est pas normal que la BNP ait été obligée de payer 9 milliards aux Américains grâce aux usages léonins du dollar. Il n’est pas normal que les Américains puissent attaquer l’Irak en violation de la décision du conseil de sécurité de l’ONU, ou qu’ils puissent dénoncer l’accord qu’ils ont signé trois ans plus tôt avec l’Iran. Il n’est pas normal que les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) ne paient pas en Europe les impôts que justifient leur volume d’activité, ou qu’elles puissent vendre des volumes incroyables d’information sur notre vie privée, nos goûts personnels, etc. Face à de tels géants politiques ou industriels nous ne pouvons pas lutter en ordre dispersé, nous avons besoin d’unir nos forces dans un ensemble continental capable de peser efficacement pour un monde plus juste.
La Chine, grâce aux progrès digitaux, notamment ceux de la reconnaissance faciale et son système de « crédit social » attaché à chaque individu sous forme de points, est en train de contrôler puissamment sa population dans le pur style Big brother : si tu traverses une rue au feu rouge ou si tu paies une facture en retard, etc. ton crédit de points baisse et, en dessous d’un seuil, tu ne peux plus voyager d’abord à l’étranger, puis même dans ton pays. Face à de telles nouveautés qui ne cessent de s’accumuler et de se répandre dans le monde à grande vitesse pour maîtriser une masse de population toujours plus grande, les Chinois perdent inexorablement leurs libertés.
Aujourd’hui, et cela devient proprement odieux et insupportable, ces technologies permettent déjà à la Chine et aux Américains qui les ont développées en grand (avec NSA entre autres mais aussi la 5G et demain la 6G), d’anéantir des entreprises et des individus étrangers par des procédures judiciaires extraterritoriales. Et cela ne fera qu’augmenter (Lire à ce sujet le livre « Le piège américain » de Frédéric Pierucci qui raconte son histoire vécue) au point de vassaliser l’Europe au bon vouloir de ces nouveaux maîtres du monde. Opération en cours.
Nous avons laissé faire la Russie lorsqu’elle a semi-annexé les deux provinces géorgiennes d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud en 2008, puis la Crimée en 2016. Nous n’avons pas été capables d’empêcher un pays comme la Syrie d’entrer en guerre civile, puis d’utiliser des armes chimiques. Nous n’avons pas été capables d’empêcher la Turquie et la Russie d’aider le régime syrien qui laisse ce pays exsangue et son peuple en catastrophe humanitaire. Le désengagement et l’imprévisibilité de Trump ont montré que nous ne pouvons plus compter sur la puissance américaine. Par notre faiblesse politique et militaire, nous ne sommes pas capables de peser dans les décisions internationales. Américains et Russes font tout pour maintenir cette faiblesse qui les arrange, par exemple en soutenant la candidature de la Turquie à l’UE.
L’Union Européenne est un nain politique alors qu’elle est, potentiellement, l’une des premières puissances économique, scientifique et technique du monde, qu’elle a une grande expérience en matière de culture, de vie démocratique, de cohabitation interétatique, et de gestion de conflits… Malgré les obstacles actuels qui empêchent tout renforcement de l’Union, l’idée d’une Europe puissance fait son chemin. Cela signifie qu’elle puisse parler d’une seule voix et disposer des moyens militaires, technologiques, financiers et politiques pour être entendue.
Le monde change à grande vitesse, les forces dont nous avons besoin ne sauraient ressembler à celles que nous avons connues, c’est à dire seulement militaires. Elles seront nécessairement plus sophistiquées pour s’adapter aux nouvelles formes d’agression en constante évolution (terrorisme, islamisme, mafias, cartels de drogues, immigrations massives, attaques informatiques, contrôle international de tout individu, propagandes massives, menaces ou chantages nucléaires, etc.).
Face aux forces mauvaises qui le parcourent, le monde a besoin d’une l’Europe forte, parce que, grâce à ses processus internes de fonctionnement concertatifs, elle apparaît souvent, sur chaque sujet, comme sage, compétente et expérimentée ; parce que l’ONU est souvent trop faible face à l’énormité des enjeux, face au pouvoir de puissances financières illicites, dangereuses ou dominatrices et face au pouvoir incontrôlable de puissances politiques qui ne respectent rien.
Pour faire face à l’énormité des défis du monde actuel
Pour ceux qui en doutent encore, voici quatre énormes défis qui sont devant nous et que nous ne pourrons maîtriser, ne serait-ce que partiellement, dans la division actuelle de l’Europe :
– l’explosion démographique de l’Afrique : 4,5 milliards d’habitants annoncés à la fin de ce siècle contre 1,3 milliard actuellement et 130 millions il y a un siècle. Cela n’ira pas sans poser des problèmes considérables
– l’importance des menaces écologiques qui pèsent sur la planète. Il est clair aujourd’hui que nous sommes très en deçà des dispositions nécessaires pour y faire face et que celles-ci nécessitent beaucoup plus d’unité et d’autorité. Notons au passage qu’il n’y a pas un seul de ces drames écologiques qui ne soit dû au trop grand nombre d’habitants sur la terre ; alors qu’à 7,8 milliards nous courrons à la catastrophe, nous allons allègrement vers 10 à 11 milliards !
– la rapidité et l’énormité des changements dus aux évolutions technologiques dans les domaines du savoir, de la communication, de l’éducation et de l’intelligence artificielle. Ils posent des problèmes beaucoup plus nombreux, beaucoup plus importants et beaucoup plus lourds de conséquences que l’humanité n’en a jamais connus.
– la situation de l’euro qui, empêchant les pays de sa zone de dévaluer en cas de nécessité, n’est pas viable à long terme sans la mise en place d’une véritable union politique de type fédéral. Compte tenu de l’importance et de la gravité de ces challenges, nous ne pouvons plus nous payer le luxe d’avoir ou non envie d’une Europe puissance. L’alternative est simple, ou nous voulons encore peser sur notre destin ou nous nous abandonnons aux autres. En fait, il n’y a plus de choix, nous avons impérativement besoin d’une véritable fédération européenne.