L’assentiment populaire
L’Europe a tout ce qu’il faut pour être attractive et enthousiasmante. Comment le faire comprendre.
On ne construira l’Europe que sur un réel désir d’Europe au sein de nos populations. Pour cela il faut qu’elle apparaisse comme ce qu’elle est, c’est à dire à la fois comme un besoin et comme un idéal.
Elle n’est pas seulement un marché ou un ensemble de règles. Elle est déjà par nature une communauté d’intérêts, d’identité, de culture et d’histoire. Ce n’est pas suffisamment ressenti à sa vraie valeur.
Hubert Védrine dit que les gens ont besoin d’identité, de souveraineté et de sécurité.
– Identité : ils veulent rester ce qu’ils sont, c’est à dire à la fois français, bretons, parisiens, européens. Leur besoin d’identité s’est développé récemment face à l’emprise islamiste qui entend la modifier.
– Souveraineté : ils veulent pouvoir influencer leur destin. Cela suppose un renforcement des processus démocratiques d’intervention sur les pouvoirs européens, implique une vraie politique de subsidiarité et un partage clair des domaines respectifs de pouvoir.
– Sécurité : ils veulent d’une Europe qui les protège. Ils veulent être mieux protégés des grandes puissances, de l’islamisme, des excès de la mondialisation et d’une Europe sans frontières.
Ces demandes-là sont assumées aujourd’hui par les États mais avec des résultats insuffisants. Alors que l’Union pourrait compenser ces faiblesses, elle apparaît au contraire trop souvent comme leur cause. Dès lors, comment s’étonner des réticences qu’elle rencontre. Il ne sert à rien de chanter ses louanges, il faut en priorité être attentif aux besoins populaires.
Le développement économique est la priorité suivante. L’Union ne se développe qu’avec l’assentiment des peuples or celui-ci n’est pas possible en période de marasme économique. L’acquisition de richesse est plus facile dans un grand pays que dans un pays moyen, tout simplement parce que la clientèle y est plus abondante et qu’un produit se vendra mieux avec 500 millions de consommateurs qu’avec 60 millions. L’Union actuelle n’a pas libéré tout son potentiel de richesse, soit du fait de la barrière des langues, soit par celle de l’Euro encore limité à quelques pays membres, soit par le manque de communication et de connaissance réciproque. On ne sait pas assez que plus nous serons unis plus l’économie sera forte.
Le rêve européen existe et n’est pas à négliger. L’Europe fait rêver à l’extérieur : en témoignent l’abondance de l’immigration et l’admiration qu’elle suscite dans les pays du monde, alors pourquoi fait-elle parfois moins rêver à l’intérieur ? Sans doute pour de nombreuses petites raisons liées à nos modes de fonctionnement encore balbutiants, au rôle de bouc-émissaire facile qu’on lui donne trop souvent, à notre méconnaissance de ce qu’est réellement l’Union, de ses fonctionnements, de ses œuvres, de ses leaders, à notre focalisation par trop excessive sur nos politiques nationales, et surtout me semble-t-il parce que nous avons le nez dans le guidon, nous sommes trop près de l’actualité, trop près des difficultés journalières et pas assez en vision de recul sur ce qui prépare un avenir meilleur.
Les médias pourraient saisir toutes les occasions d’aider nos concitoyens à prendre ce recul, à toujours privilégier le long terme sur le court terme, en montrant qu’il est la voie de la richesse et du progrès. Ce n’est pas facile parce que les foules s’intéressent à l’immédiat. Mais les médias peuvent mettre en valeur les personnalités européennes, leurs difficultés présentes, leurs faits et gestes journaliers, ils peuvent parler des pays candidats, de leurs progrès, etc. Le rêve européen peut se décliner par des images, des dessins animés, des jeux, des fictions, des films, des personnages, etc.
Les écoles doivent développer ce rêve dans l’esprit des jeunes de 10 à 20 ans dans leur intérêt. Il s’agit de valoriser les visions à long terme, d’apprendre à décrypter les biais de l’information journalière, de réfléchir sur l’idée que l’union fait la force, que la force peut exister sans la violence, que la puissance permet d’éviter la violence, que nous avons une identité européenne et en même temps une identité française que nous aimons sans que toujours nous nous en rendions compte. Ils doivent voir l’incroyable suite de modifications des frontières intra-européennes depuis dix siècles.
L’espoir induit le dynamisme et l’audace économique. Des historiens constatent que les peuples attachent plus d’importance à l’espoir que l’actualité leur offre qu’à leur niveau de vie. Par exemple, sous Napoléon III, les Français vivaient bien moins confortablement qu’aujourd’hui mais, étant plus confiants dans l’avenir, s’y investissaient ; ils créèrent la prospérité de cette époque. Aujourd’hui, alors que nos compatriotes sont moroses à bien des égards, nous ne leur proposons rien alors que l’UE est un chantier plein de potentiel qu’ils connaissent mal et qui peut les passionner.
Il faut visiter les pays de l’Union. Il y a vingt ans, avec mon épouse, nous nous étions fixés pour objectif de les visiter tous (y compris les candidats) ; nous en sommes à 26 sur 33 et en sommes enthousiasmés. L’Europe est belle, très belle, à la fois très diverse dans ses formes, ses habitudes et ses paysages mais très homogène dans sa culture et son esprit. Elle recèle d’incroyables trésors de tourisme, de peuples attachants et de coutumes séduisantes. Bref de quoi être fier d’y vivre, de vivre ensemble et de profiter de nos différences. Et il y a mille autres manières de valoriser tout cela et mille manières aussi d’éviter de ne parler que de ce qui fâche.
L’Europe ne peut se construire sur des objectifs négatifs (ex. moins de guerre, moins d’immigration ou moins de Bruxelles…), il faut qu’elle corresponde à un idéal, à quelque chose de noble et attirant. Et cela, alors même que deux replis se développent puissamment autour de nous, le populiste et le religieux. Cet idéal doit être compréhensible des peuples comme le furent les idéaux de la Révolution française construits par les philosophes des Lumières : tout le monde comprend que la liberté est mieux que l’asservissement, que l’égalité des femmes est une force, que la fraternité est belle bien que toujours difficile, que les solutions non violentes sont préférables à la violence, qu’un État de droit est plus sécurisant qu’une dictature, que les croyances peuvent être une belle chose mais qu’elles sont dangereuses lorsqu’elles deviennent collectives et obligatoires, que la vérité est une condition de la paix, que ce qui ne va pas n’est pas toujours de la faute des autres, que l’union fait la force, etc. C’est ce qu’on appelle les Lumières. Malgré des périodes et des zones de ténèbres, elles éclairent le monde depuis plus de deux siècles, elles nous éclairent encore mais sont gravement en danger. N’oublions jamais qu’une lumière peut s’éteindre et que toutes les civilisations ont été suivies de longues et noires périodes de barbarie. La culture des Lumières doit être partagée à grande échelle et atteindre les masses populaires.
JM – 2/4/21