Deux propositions nouvelles


Propositions à l’Église catholique

Rappel du contenu de mon livre « Croyances meurtrières » afin de poser les bases de ce qui suivra.

Étonné de l’importance des croyances religieuses dans la plupart des guerres et conflits actuels, j’ai pensé nécessaire de réfléchir sur la part des croyances dans notre christianisme. C’est ainsi que j’ai pris conscience des problèmes qu’elles engendrent parfois dans la mesure où : 

  • Trop souvent, elles oublient le doute qui est un constituant essentiel du concept même de croyance. Nous l’oublions nous-mêmes et l’Église l’oublie dans son discours.
  • Le choix de croire en Dieu ou de ne pas y croire est trop souvent mis au premier plan, alors qu’on n’en sait rien : des gens sages et intelligents font des choix opposés, c’est un choix binaire et simpliste auquel on donne trop d’importance, il n’est pas étonnant que de plus en plus de gens refusent de le faire.
  • L’Église a jalonné le message chrétien de dogmes, elle l’a fait pour répondre à la demande et par nécessité d’unité, mais ils ne sont plus recevables aujourd’hui en tant que vérités absolues dans nos sociétés de libre arbitre. 
  • Alors que le mot catholique signifie universel, le message de l’Église ne l’est plus dans la mesure où il « oblige » à passer par des croyances particulières, alors que Jésus fait plutôt appel à nos intelligences et à nos responsabilités.
  • Le discours chrétien délivré dans nos églises catholiques n’est plus audible des jeunes générations : mots incompréhensibles, affirmations gratuites, repères d’ordre surnaturel…
  • Les pratiques du catholicisme en Europe sont en déliquescence régulière 

Mon essai fait quelques propositions aux Chrétiens et à l’Église :

  • Parler de la Foi, moins comme « Croyance » que comme « Confiance et Adhésion ». 
  • Remplacer le mot « Dogmes » par « Grands repères théologiques ». 
  • Mettre au second plan les aspects surnaturels et au premier plan le formidable message de vie du Christ assumé jusqu’à l’extrême, suffisamment fort pour ne pas avoir besoin d’étayages surnaturels infantilisants.
  • Avoir un discours, non plus compréhensible par les seuls croyants, mais aussi par les athées et tenants d’autres religions, autrement dit, adapté à l’universel, c’est-à-dire accessible à tous les humains.

Je ne me fais guère d’illusion sur la capacité de l’Église catholique à mettre en œuvre ces recommandations à court terme pour plusieurs raisons :

  • Son message actuel est un grand et bel édifice d’affirmations – d’ordre surnaturel – dogmatisées – figées dans la foi de centaines de millions de croyants – il est devenu intouchable.
  • Il l’est d’autant plus que le message d’amour du Christ est si magnifique qu’il agit dans nos esprits comme une caution de cet édifice.
  • L’Église est une énorme machine aussi difficile à faire évoluer qu’à soulever une montagne. Elle est dirigée d’en haut par une formidable structure cléricale. Celle-ci est imprégnée d’une architecture intellectuelle si cohérente que la moindre remise en cause d’un détail est inaudible.
  • Le peuple chrétien qui, seul peut faire évoluer, est formé d’un éventail inimaginable de cultures, de diversités et d’extrémismes qui rend complexe et marginale la moindre évolution.

Pourtant, je suis certain qu’à long terme l’Église y viendra. Et cela pour quatre raisons fortes :

• C’est déjà ce qui se passe dans la réalité : dans le monde moderne, les gens sont plus instruits et attachent moins d’importance au surnaturel, aux dogmes et aux croyances religieuses. Surinformés, ils se déterminent par eux-mêmes à partir du langage qui est le leur et non plus celui des Églises, c’est un langage proche de la vie et des valeurs chrétiennes. Leur foi est en jachère, elle attend un nouveau discours qui ne vient pas. Faute de mieux, un christianisme laïque est en plein développement.

• Jésus a lutté contre les croyances et les dogmatismes, avant toute idéologie il met en avant les réalités de la vie et nos consciences. Son message est le contraire d’un édifice intellectuel théologique, c’est une parole de vie. 

• Les conclusions du Concile Vatican 2 (à lire sans faute dans ce blog) sont pleinement dans cet esprit : Elles évitent le piège du rapport à une vérité définie de manière dogmatique. Elles privilégient une approche existentielle de la religion, une Église montante et non plus descendante, une valorisation de la conscience individuelle. 
Outre celle des cardinaux conciliaires, la présente démarche est accompagnée, peu ou prou, par celle de grands noms, prêtres pour la plupart et souvent théologiens comme Joseph Moingt, Hans Kung, Bernard Besret, Maurice Bellet, Yves Burdelot, Jean Sullivan, Jean Rigal, François Ponchaud, Olivier Rabut, etc.

• Si l’Église n’accompagne pas ce mouvement, nous ne pourrons pas « vivre ensemble » dans un monde globalisé car, comme je le montre dans mon livre, la grande majorité des conflits actuels de la planète ont une composante religieuse forte. 

En attendant, et pour avancer, voici deux propositions supplémentaires que j’adresse à l’Église catholique et aux chrétiens afin d’être un peu plus audible à l’universel. 

La première ne touche qu’à une inflexion de discours rendue nécessaire par l’impossibilité de faire comprendre l’idée chrétienne de trinité :

Au lieu de parler d’un « Dieu en trois personnes », je propose de parler d’un « Dieu qui nous est rendu sensible sous trois formes ». 
– D’abord celle d’un Père, un père créateur puisque notre univers a forcément eu une origine intelligente, puissante et bonne. 
– Ensuite celle d’un Fils, Jésus-Christ dont la vie, le témoignage et la perfection de l’engagement nous laissent penser à une filiation divine.
– Enfin celle d’un Esprit-Saint qu’on perçoit comme cette part de bon et de bien qui est en chacun de nous et comme une part de Dieu en nous. En ce sens, nous aussi pouvons dire que nous sommes Fils de Dieu.

Ainsi exprimée, l’idée chrétienne de trinité est compréhensible par tous les hommes que l’idée de Dieu interroge, qu’ils soient chrétiens, incroyants, athées, musulmans, bouddhistes, animistes, etc. 
Si je suis athée (non pas croyant en l’inexistence de Dieu ce qui est une croyance) mais simplement « sans Dieu », au sens propre de mot athée, ou agnostique c’est-à-dire partisan du doute, je n’ai rien à opposer à cette formulation. Ce n’est pas le cas lorsqu’on dit que Jésus « est » Dieu, car alors il faut passer par une croyance collective obligatoire, porte ouverte à tous les excès et toutes les difficultés de communication. Cette nouvelle formulation se comprend beaucoup mieux et laisse la porte ouverte à la croyance en Jésus Dieu qui reste alors une croyance personnelle fort honorable.
Si je suis Bouddhiste, ma culture ne connaît pas le concept de Dieu (le mot n’existe même pas dans plusieurs langues orientales) mais cette nouvelle manière d’en parler est accessible. 
Si je suis musulman, la première pomme de discorde avec les chrétiens qui est la trinité de Dieu, a disparu. Et nous parlons enfin du même Dieu.

La formulation est donc plus acceptable car elle se réfère moins au surnaturel. Le concept de Dieu reste à portée humaine. (Cf. ces remarques de Saint Augustin : « Si tu comprends, alors ce n’est pas Dieu… Dieu n’est pas ce que vous avez compris, il est ce que vous ne comprenez pas. » Et celle du philosophe chrétien, Saint Justin (vers l’an 150) : « Le mot Dieu n’est pas un nom, mais une approximation naturelle à l’homme pour désigner l’inexplicable.»

La seconde proposition demande à l’Église de s’ouvrir à une manière de plus en plus fréquente d’être chrétien.

Cette manière s’aperçoit dans de nombreux sondages comme celui de la Sofres en 2009 qui ne donnait que 13% de gens (de plus de 18 ans) qui se disant catholiques croient en la résurrection, 31% seulement y croient chez ceux qui acceptent de se dire pratiquants et 57% seulement chez les pratiquants réguliers. Il trouvait aussi 33% de catholiques disant ne croire à rien contre 43% chez les Français, et 65% des personnes interrogées se disant sans religion. 

Cette manière « à la carte » existe abondamment dans le monde chez des millions de gens qui adhèrent fortement aux valeurs chrétiennes mais ne pratiquent pas ou peu et gardent quelques distances avec les dogmes et le surnaturel. Leur démarche se veut résolument personnelle et non plus obéissante ou collective. C’est une position ouverte qui ne refuse pas d’écouter et d’en savoir plus. Elle correspond à l’une des nombreuses formes de l’Église d’en bas que valorise le concile Vatican 2.

L’idée de cette proposition est que l’Église ne peut laisser de côté toutes ces bonnes volontés. Elle a déjà fait de nombreuses avancées pratiques en matière de communication, par exemple dans les voyages du pape, dans la communication personnelle de certains prêtres, dans la vie pratique de nombreux chrétiens engagés personnellement sur mille terrains… mais cette communication reste bloquée par des fondements théoriques qui ne passent plus. En clair, il s’agit du contenu du « Je crois en Dieu » qui contient toutes les bases d’un ancien dogmatisme hors sol. Hors sol, non pas dans son fond mais dans sa formulation adaptée à des gens habitués à obéir. L’ouverture que je demande à l’Église est d’établir un nouveau discours correspondant à l’esprit de Vatican 2. Cette demande n’a rien d’excessif puisque ce concile représente l’autorité suprême de l’Église, supérieure à celle du pape lui-même.

Comme le montrent les sondages, l’unicité du discours de l’Église qui a, jusqu’ici été maintenue contre vents et marées ne tient plus et tiendra de moins en moins avec la mondialisation. Ainsi, lorsque certains s’accrochent aux rigides formulations du passé et refusent tout changement, il faut cesser de leur opposer une égale rigidité. Il est temps d’accepter une certaine diversité comme dans le protestantisme : par exemple, garder la soutane ne gêne personne, cela peut même être souhaitable pour certains, dire la messe en latin pourquoi pas dans la mesure où cela n’est pas une obligation. L’unité des croyances n’est plus possible mais cela n’empêche pas l’Église de fixer ses « grands repères théologiques ». Il faut laisser les gens croire ce qu’ils veulent. Pourquoi ? Parce que de toute façon, il en sera ainsi mais surtout parce que ces choses-là ne sont pas l’essentiel du christianisme. Qu’est-ce alors ? Pour Jean Sulivan, c’est un esprit, un cheminement, un souffle de vie, une force intérieure… à l’exemple de Jésus. Et ça, c’est vraiment universel. C’est aussi beaucoup plus fort que toutes les théologies.

J.M. 16 juillet 21

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