Gene Sharp


GENE SHARP (1928-2018)

Il n’est pas possible de parler de mon travail durant ma retraite sans parler de Gene Sharp qui, grâce à de longues années de recherche à Harvard, est devenu la référence mondiale en matière de résistances civiles non violentes. C’est pourquoi, j’ai fait traduire en français et publier à l’intention de la Francophonie 5 de ses œuvres que j’ai l’intention de présenter ici.

Plusieurs fois nominé pour le prix Nobel de la Paix, il est avant tout un chercheur à l’esprit intègre et rigoureux. Je peux en témoigner car j’ai travaillé avec lui à Boston à l’Institution Albert Einstein qu’il a créée. J’ai ensuite souvent échangé avec lui.

On trouve beaucoup d’informations sur lui sur le Net aussi, je n’en dirai pas plus ici. Voir par exemple : https://fr.wikipedia.org/wiki/Gene_Sharp

Sur le plan personnel, Gene a eu du mal avec les milieux non violents qui étaient intéressés par ces processus de résistance pour leur caractère non violent, c’est à dire moral, alors que pour lui, c’est leur efficacité qui importait et qui, à elle seule, justifiait leur emploi. De fait, elles ont été couronnées de succès dans 53% des cas, contre 26% seulement pour les campagnes de résistance violente selon une étude de Maria Stephan et Erika Chenoweth, « Why civil resistance works. The strategic logic of nonviolent conflit », International Security, 2008.
http://belfercenter.ksg.harvard.edu/project/58/quarterly_journal.html.

Gene Sharp déplorait l’emprise des mouvements non violents qui connotaient les méthodes de lutte non violente de leur pacifisme outrancier. Il marquait cette différence avec eux en écrivant nonviolent et nonviolence en un seul mot quand il s’agit de méthodes de lutte sans connotation morale. Je pratique aussi cette différence.

Ses 5 livres que j’ai publiés en français ne sont qu’une partie de son œuvre, mais j’ai choisi ceux qui sont le plus utiles, soit pour comprendre le fonctionnement, soit pour guider la mise en œuvre de résistances par des peuples soumis à des oppressions. Je n’ai pas publié en français son œuvre de base « The Politics of Nonviolent Action » en 3 volumes car les intellectuels peuvent la comprendre en anglais.

En effet, l’art des résistances civiles de masse est un art aussi complexe et difficile que l’art militaire. Pourtant ceux qui s’y lancent n’ont pas fait d’études stratégiques alors que ce serait nécessaire dans une École qui lui soit dédiée. Au mieux, certains ont suivi un stage d’une à trois semaines avec l’association Canvas de Belgrade ce qui est très insuffisant, alors que d’autres font simplement confiance à leur bon sens et au mieux à leurs lectures.

Au résultat, la plupart des résistances qui, dans le monde, ont échoué n’avaient pas été préparées avec un professionnalisme suffisant. Par exemple, en 2011, la guerre de Syrie avait commencé dans le contexte du Printemps arabe par des manifestations majoritairement pacifiques en faveur de la démocratie contre le régime baasiste dirigé par le président Bachar el-Assad. Quelques leaders avaient suivi quelques semaines d’études et de préparation et l’affaire était bien partie. Mais au bout de quelques mois, de nombreux militaires de l’armée nationale firent sécession et rejoignirent les masses populaires qui résistaient sans armes. Dès lors, le conflit prenait forcément un tour militaire, anéantissant définitivement toute possibilité de réussite d’une résistance non violente. Pourquoi ? Parce que sur le terrain militaire, Bachar el-Assad était naturellement gagnant alors que sur le terrain populaire il était probablement perdant, comme le furent Ben Ali en Tunisie ou Moubarak en Égypte.

Résumé des livres de Sharp que nous avons publiés en français

La guerre civilisée – La défense par Actions Civiles, 1995

Ce livre permet de comprendre les mécanismes étonnants, et pour beaucoup incroyables, qui permettent à une population sans arme mais déterminée de vaincre sans armes un pouvoir fort soutenu par des forces armées puissantes et bien organisées. Au regard des expériences historiques, le lecteur est bien obligé de constater que « ça marche » et que ce n’est pas une utopie, mais il se demande comment c’est possible, par quel mécanisme un dictateur puissant et protégé en vient-il à abandonner le pouvoir. Gene Sharp l’explique. Il montre que tout pouvoir repose sur un certain nombre d’appuis (l’autorité, l’adhésion, les compétences, les moyens matériels, les sanctions et des facteurs d’ordre psychologiques ou idéologiques) et que des actes populaires bien ciblés et stratégiquement réfléchis, peuvent grignoter l’un ou l’autre de ces piliers au point de l’affaiblir dangereusement et même de l’effondrer.   

La force sans la violence, 2009

Autrefois, un peuple qui se révoltait n’avait que la violence pour s’exprimer. Il fallait détruire l’adversaire. Aujourd’hui, il dispose de nombreuses méthodes pour l’obliger à se plier a ses exigences. Ce livret de moins de 100 pages montre, par l’exemple, comment cela peut se faire et comment cela s’est fait concrètement dans l’histoire récente des résistances non violentes. Sans éluder les difficultés, il donne des exemples, combat les idées fausses, donne des repères et des explications. Il parle de stratégie, de planification en soulignant leur importance et montre les étapes de la lutte. Son annexe a beaucoup de succès, elle donne la liste des 200 méthodes de lutte nonviolente qui, dans l’histoire, ont été pratiquées et étudiées par les chercheurs. Il en existe évidemment bien d’autres.

De la dictature à la démocratie, 2009

Ce livret se vend bien car il traite de méthodes et de pratiques. Il explique les fondamentaux et points clés qui permettent de réussir. Puis il parle de stratégie et de planification, si bien que le lecteur reçoit une véritable leçon de stratégie qui permet de comprendre le haut niveau de réflexion et de préparation qu’exigent ces résistances de masses. On ne laisse pas des millions de personnes dans les rues avec des fleurs à la boutonnière. Il ne suffit pas d’avoir raison ou d’avoir une cause juste, il faut aussi savoir la mettre en musique. Bref, il donne des méthodes pour guider la réflexion stratégique, car enfin, il ne suffit pas de savoir comment on va affronter le pouvoir, il faut gagner, petit détail qui change tout. Il faut aussi savoir ce qu’on va faire de la victoire, question souvent négligée.

L’anti coup d’État, 2009

En Afrique postcoloniale, les coups d’État militaires sont souvent devenus la seule façon de changer de gouvernement. De gros moyens sont consacrés aux armées mais rien n’est prévu pour protéger les sociétés et les empêcher. Dans ce livret, Gene Sharp démontre que nous disposons aujourd’hui du résultat de recherches et d’une expérience permettant la mise en œuvre, sous certaines conditions, de toute la puissance d’un peuple refusant l’injustice ou la violence d’un coup d’État. Mais cela ne s’improvise pas.

La lutte nonviolente – Pratiques pour le XXI° siècle, 2015

Voici, en 450 pages, le grand et dernier ouvrage de Gene Sharp, celui qui transmet ses dernières recherches et fait la synthèse de son sujet. Intéressant et utile car la moitié du livre raconte de manière vivante des situations de résistances réelles vécues dans le passé. L’autre partie est l’héritage de ce chercheur inlassable jusqu’à la fin de sa vie, qui fait le point des recherches qui permettent d’éviter les erreurs commises. Couper les sources du pouvoir et planifier la lutte nonviolente de façon stratégique, voici l’objectif ambitieux de cette bible des résistances civiles de masse qui sera la ressource principale des luttes politiques à venir.
Un très grand Merci aux Editions Ecosociété de Montréal au Canada qui ont accepté de publier ce gros livre

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