Le christianisme est-il universalisable ?


Le mot catholique signifie universel, mais le catholicisme est-il vraiment universalisable ? Le christianisme dont les obédiences sont plus variées, moins monolithiques, le serait-il ? Par cet adjectif, universalisable, j’entends une religion acceptable dans le monde entier, aussi bien par des peuples sans religion ou des athées que par des bouddhistes, musulmans, indouistes, animistes, sikhs, judaïstes, etc. Ainsi, adhérer à l’enseignement de Jésus ne devrait pas obliger un bouddhiste (ou autre) d’abandonner ses propres croyances. En effet, je suis chrétien, né dans le bain comme Obélix, et donc imprégné de l’esprit universaliste de Jésus et de son intelligence, je pense que son enseignement ne peut qu’être acceptable par tous les humains, quels qu’ils soient. Ou il l’est ou il ne mérite pas de l’être. Et dans ce dernier cas, il appartiendra aux humains d’accéder par eux-mêmes à ces valeurs, en dehors de toute impulsion religieuse. Mais le chemin sera long.

Universalisable ? Deux manières de répondre à cette question : soit en tenant compte de l’emprise actuelle des religions dans le monde, soit de manière plus théorique en considérant l’homme moderne de manière plus générale.

En effet cette emprise est souvent très forte, particulièrement dans l’islam où les pratiques religieuses sont conçues pour encadrer fortement la vie du musulman : 5 prières journalières, aumône, jeûne, pèlerinage, relations familiales… mais aussi dans l’hindouisme qui inonde la vie collective et privée en Inde, comme le faisait d’ailleurs aussi le christianisme en Europe au 20° siècle. Dès lors, la probabilité de changement de religion est faible et il est utopique d’espérer un grand nombre de conversions de musulmans, indous au christianisme. Elles ne peuvent être que marginales en nombre. C’est quand-même un élément de réponse : le christianisme ne peut espérer s’étendre dans les régions du monde où l’emprise religieuse sur les individus est forte.

Mais la question posée est plus intéressante dans sa seconde forme, c’est à dire considérant l’Homme moderne (H majuscule pour y inclure la femme) relativement dégagé de toute emprise religieuse comme c’est de plus en plus souvent le cas chez les gens instruits dans toutes les régions du monde. La réponse doit venir du christianisme lui-même et non des autres religions. Elle m’intéresse car le christianisme a pour ambition de se développer sur toute la terre et il enseigne la paix, la sagesse, l’amour du prochain, et surtout la liberté religieuse et la tolérance, etc. c’est à dire toutes les vertus qui permettent la vie en commun. A l’heure où la population de notre planète vient de quadrupler en un siècle c’est loin d’être une question colonialiste ou purement intellectuelle. Il ne s’agit pas d’obliger les peuples non chrétiens à penser comme nous. Il s’agit de la question qu’en tant que chrétien je me pose, car de deux choses l’une : ou la réponse est négative et il y a quelque chose qui cloche dans ma religion, ou elle est positive et je suis dans la bonne direction. Autrement dit, ma religion ne saurait être une question de croyance, donc aléatoire, binaire et d’un certain côté stupide, mais un moyen de vivre ensemble, une direction de paix pour notre planète tout entière, une approche non religieuse qui nous aurait été indiquée par Jésus de Nazareth.

Or justement, en son état actuel, le christianisme est une question de croyance. Il repose sur trois piliers : – la perfection de l’enseignement de Jésus et de sa vie – son courage qui va jusqu’à accepter de souffrir jusqu’à la mort au nom de la vérité – et ses multiples miracles extraordinaires et empreints d’amour. Les deux premiers sont indiscutables et largement reconnus. C’est le troisième, les miracles, qui font de l’adhésion au christianisme une affaire de croyance. Mais était-ce nécessaire ? Les deux premiers étaient suffisamment forts pour justifier l’adhésion de millions de « followers » de bonne volonté et développer une religion universelle fondée sur l’amour, le prochain, la justice, etc. Pourquoi y avoir ajouter la croyance aux miracles qui, reconnaissons-le, est devenu une composante obligatoire de la foi chrétienne ? Était-ce indispensable ? C’était créer de facto la non-croyance et d’insurmontables oppositions. Jésus était manifestement d’une intelligence supérieure et on peut douter qu’il ait voulu cela.

Alors qui était Jésus ? Il a beaucoup été dit sur lui et je ne peux m’empêcher de penser qu’il était peut-être autiste Asperger puisqu’à onze ou douze ans il étonnait les docteurs de la loi de Jérusalem rassemblés autour de lui. C’est une caractéristique qui ne trompe pas[1]. Dès lors, fort de cette puissance intellectuelle, jusqu’à l’âge de 30 ans, il aurait eu le temps de réfléchir aux bases philosophiques et religieuses du monde qu’il voulait faire évoluer et aux moyens de les faire comprendre et accepter : se lancer dans une vie publique de façon à être connu, prêcher, faire des choses étonnantes, s’entourer d’une équipe variée et capable de transmettre son message. Ainsi, ce qu’on appelle ses miracles pourrait n’être que des tours de magie bien préparés. On peut même imaginer que l’un de ses douze disciples était dans le secret mais certainement pas les quatre évangélistes ce qui expliquerait le caractère miraculeux de leurs récits. Quant à la résurrection, les textes bibliques ne font que la suggérer sans jamais l’affirmer. Ceci étant, on peut aussi imaginer d’autres scénarios que la magie, l’idée est de montrer qu’il ne s’agit pas forcément de miracles, mais par exemple de stratagèmes pour la bonne cause. 

Mon idée n’est pas d’exclure les miracles car je n’en sais pas plus qu’un autre, mais de ne pas en faire des piliers du christianisme. Or ils font aujourd’hui partie du « credo » des chrétiens qui exprime tout ce que les chrétiens « doivent » croire. On y trouve même deux choses essentielles majeures qui n’ont jamais été prouvées mais qui ont pris une importance capitale dans l’édifice chrétien : la résurrection et la divinité de Jésus. Il ne s’agit pas d’exclure ces trois affirmations (miracles, résurrection et divinité) mais de dire qu’on n’en est pas certain (comme de l’autisme de Jésus). Et que par conséquent, chacun peut y croire à titre personnel, mais elles ne peuvent faire partie des dogmes chrétiens, c’est à dire des croyances obligatoires.

Dès lors, si on les exclut, le christianisme ne repose plus que sur les deux premiers piliers qui, ceux-là, sont « exportables » auprès de tous les Hommes sans difficulté (perfection de l’enseignement et courage extrême de Jésus) de la même manière que nous admirons de grands hommes de l’Histoire humaine. Avec ou sans miracles, la doctrine de Jésus est aussi puissante et enthousiasmante, c’est l’amour du prochain, la vérité, la vie, le don de soi, etc. La question centrale d’adhésion à la foi chrétienne n’est plusde croire ou de ne pas croire comme c’est généralement le cas aujourd’hui, mais de faire confiance et d’adhérer. Et dans cette optique, à titre individuel, rien n’empêche quand-même de croire en Dieu, en Jésus fils de Dieu et Dieu lui-même, et en sa résurrection, mais ce ne sont plus les questions-clés de la foi, c’est une possibilité laissée, à titre individuel, à chacun de nous. L’Église peut même en parler, les développer, mais sans les classer comme dogmes. 

Oui, objectera-t-on, mais Jésus parle souvent de son Père qui est dans les cieux, de la vie après la mort, n’est-ce pas une révélation pour nous ? Une révélation de l’existence de Dieu ? Non, cela ne révèle rien puisqu’en disant cela Jésus parle comme tout Juif instruit des textes anciens dans lesquels Dieu parle directement aux leaders du peuple juif, à Moïse par exemple mais aussi à bien d’autres. 

En conclusion, j’ai tendance à dire que, en son état actuel de religion qui s’appuie sur des miracles, le christianisme n’est pas « universalisable ». Ne pouvant qu’espérer rassembler des croyants, il ne peut espérer faire de nombreux adeptes. C’est très grave. Souhaitant rassembler tous les Hommes de bonne volonté, Jésus lui-même n’aurait pu l’accepter.

Les miracles enferment les gens dans leur croyance ou dans leur non-croyance… ce qui est contraire à l’esprit du christianisme. Une croyance ne peut-être que personnelle et n’a rien à voir avec la vérité. Une autre manière de conclure cette réflexion consiste à dire que les sujets de croyance ne doivent pas être institutionnalisés.

Ainsi apparaissent les orientations nécessaires d’un christianisme qui se veut universel. Je n’ignore pas la difficulté du saut à franchir. Il nécessitera du temps, des débats difficiles, des fractures, des conciles. Mais l’Église en a vu d’autres. Elle est ma mère et elle m’a toujours fait vibrer pour la beauté et la sagesse de ses enseignements dans la ligne de ceux du Christ. Et je la sais capable, sur le long terme, de franchir une telle difficulté. En ces premiers jours de ma 90ème année, c’est le testament que je lui laisse.

J.M. 8 janvier 2025


[1] Il est problématique de parler du trouble autistique Asperger car il en existe de multiples formes et elles sont encore mal connues. Parmi celles-ci on y trouve souvent un niveau anormalement élevé de mémoire et d’intelligence accompagné de capacités de communication souvent mauvaises, rarement bonnes.