Parole de feu
De nombreux prêtres chrétiens comme Yves Burdelot, Maurice Bellet, Jean Rigal, François Ponchaud, Bernard Besret, Olivier Rabut et même de grands théologiens comme Joseph Moingt et Hans Kung ont développé, bien mieux que moi et avant moi, des thèses proches de celles de mon livre. Chacun l’a fait avec des approches et des explications différentes, mais tous se rejoignent dans la vision d’un christianisme d’avenir nettoyé des scories accumulées au cours des siècles comme les dogmatismes, les miracles, les croyances surnaturelles, les notions de péché, les obligations, les « diplômes » du bon chrétien, la bien-pensance et j’en passe. Au-delà des remises en cause, ils proposent des retours à l’esprit, à l’essentiel, à l’intériorisation et à mille aspects positifs. Le christianisme qu’ils proposent (ou commencent à pressentir) est avant-gardiste, il ressemble moins à une religion, dès lors il s’imposera peu à peu dans quelques dizaines ou centaines d’années. Il sera universel ou ne sera pas, il permettra à tous d’être disciples de l’esprit de Jésus, aux athées comme aux bouddhistes, indouistes, musulmans, taoïstes et autres.
Parmi ceux-ci, JEAN SULIVAN a une place particulière dans mon cœur parce qu’il le fait avec des mots et des phrases d’une sensibilité et d’une vérité qui me touchent profondément. Ni raisonnement, ni développement, mais des idées foudroyantes. Je l’imagine, illuminé comme Pascal lors de sa nuit de feu, écrivant fébrilement ses éclairs de génie. Sa manière est inimitable et la seule façon d’en parler est de citer quelques-unes de ses phrases. Morceaux choisis.
– Croire que le monde est en marche vers son accomplissement ne peut que prêter à rire… Je proclame qu’il l’est maintenant dans des consciences plus fortes que le mal. Ce n’est pas idéologie mais événement qui se produit partout.
– La fin du monde est d’abord intérieure : opération en cours. Les temps eschatologiques n’adviennent pas à une date plus qu’à une autre…
– Les mots n’atteignent jamais le Ciel qui ne traversent pas le cœur.
Jean Sulivan reste dans l’Église mais s’attaque à l’excès de conceptualisation de sa religion, il évoque
– Les clichés, le bric-à-brac, le magma sentimental de l’Église…
– Et vous les théologiens classiques, qu’en avez-vous fait (du message) ? Du bouillon pour les morts. Vous avez extrait des idées abstraites du texte, justes peut-être mais coupées du corps de la parole. Vous les avez systématisées, transformant ainsi le message en vérités, et vous avez, sinon dit, du moins laissé dire et penser que la foi était la croyance en ces vérités…
– Avez-vous compris ? Vous n’avez droit que de parler de la graine de vérité que vous germez en vous. Non de la foi comme cette chose hors de vous, une sorte de satellite artificiel qui tourne au ciel des idées…
– Ainsi, malgré toutes les convictions déclarées ou sincères la chair est niée et donc la résurrection qui n’est plus que certitude mentale. Ainsi la voie est ouverte à la négation par l’affirmation même.
– Or la pensée fondamentale de la bible est que l’invisible ne peut se dire qu’au travers du sensible. Il n’y a pas de concept des moissons qui blanchissent, du lys des champs, de la drachme perdue, du blessé sur la route de Jéricho… Et de même c’est la théologie qui distingue entre foi – amour – action. Cette distinction n’a aucun fondement dans l’écriture.
– Inutile de parler de résurrection si les mots ne sont pas ressuscités, si la joie ne bat pas des ailes dedans.
Sur le doute
– Tôt ou tard, il importe d’être délivré de cette foi-là. Il y a une santé du doute qui est de connivence avec l’authenticité de la foi. Le chemin du doute délivre de la foi en ses propres pensées. Car on se fait une idole de la vérité… Or la vérité n’est pas Dieu, dit Pascal…
– J’ai autant appris des ennemis de la foi, de Voltaire, Diderot, de Feuerbach, Nietzsche et Marx, que de Thomas d’Aquin et de sa postérité…
– Presque toujours les Croyants s’imaginent que la foi va avec la certitude. On leur a mis ça dans la tête…
– Rencontrer Dieu, c’est le renier à l’instant même. Toute certitude est « mise à mort » de Dieu. L’athéisme classique a ses racines dans les certitudes.
Sur les idées, la doctrine et la foi
– …Nommer l’inconnu c’est le soumettre illusoirement à qui le nomme et ainsi le neutraliser en l’apprivoisant. Maîtriser et s’approprier, tel est le projet fondamental… Les serviteurs de l’idéologie religieuse confondue avec la foi participent à l’assassinat de Jésus. Bien entendu, ils ne savent pas ce qu’ils font, comme tout le monde…
– La résurrection, comme savoir, fait à croire, transforme la foi en impératif catégorique. Jésus n’est plus que l’homme miraculeux. Dieu irrémédiablement autre. Dire que la résurrection fut cause de la foi des disciples trahit en partie. C’est Paul qui parle ainsi, la représentation grecque et spéculaire des choses à travers lui.
– La question n’est pas comment enseigner mais comment vivre. Le christianisme n’existe pas pour être su et ne peut être qu’une insufflation sous peine d’être rejeté comme un corps étranger, à moins qu’il ne fasse provisoirement des esclaves, c’est-à-dire des récitants de la foi des autres.
Sur Dieu
– Sauveur, Messie, Fils de Dieu, Ressuscité, ces termes imposés, glorieux voilent l’image du Galiléen, tout comme les chapes, les ostensoirs d’or empêchent de voir l’homme torturé, l’humilié du pain et du vin. Au besoin de sécurité des enseigneurs qui mettent leur conscience en règle en proclamant la vérité officielle sans s’occuper des hommes réels correspond le besoin de sécurité des enseignés qui se recouvrent du nom de foi. On dirait que, pour de nombreux Croyants, l’essentiel est que Jésus soit d’abord déclaré Dieu, Christ. Ils ont cela dans la tête, apprivoisé, fixé en formules dont ils ignorent le sens, pour tous et pour personne, les voilà dispensés de percevoir jamais ce que l’existence concrète de Jésus contient d’insurgé. Comment le leur reprocher. Ils furent manipulés, forcés, comme on dit forcer un cheval…
-– Rien ne sert de tant parler de Seigneur, Dieu, et tout le tralala. Ce n’est souvent que du bourrage de crâne, comme on procède pour les marques de lessive.
– Oui, fatigue extrême d’entendre dire que Jésus est ceci, cela…
Sur le chemin et le retournement intérieur
– Impossible en tout cas de ne pas voir qu’au cœur du message il y a le refus radical de toute convention et que l’essentiel n’est pas dans la pensée qui accorde, mais dans le ton et le choc qui disloquent les assurances, invitent au retournement intérieur. La confiance de Socrate dans le savoir est totale. Il vise à corriger les faux jugements par une arithmétique morale rigoureuse. Cette assurance n’existe pas pour Jésus qui invite à se mettre en marche d’abord…
– L’intention évidente de Jésus, révélée par les textes, fut de ramener chaque homme en son centre…
– La parole n’est pas adaptable d’elle-même. Elle n’est adaptable qu’en soi, dans le jeu vain des pensées qui sont souvent des chiens couchants. Impossible donc de court-circuiter les questions avec des réponses préfabriquées. Le cheminement est tout. Il n’est qu’un chemin, le mien, le vôtre, éclairé par l’Évangile et l’Église, servante de l’Évangile…
Jean Sulivan, 1913-1980, (à ne pas confondre avec d’autres homonymes Sullivan avec deux L) est un prêtre français devenu écrivain. Il a marqué le christianisme par de nombreuses publications.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Sulivan.
Ces textes viennent d’être publiés en octobre 2020 dans un ouvrage collectif sur Jean Sulivan, à l’initiative de Jean Lavoué, sous le titre « Dans l’espérance d’une parole » aux éditions « L’enfance des Arbres », 3 place vieille ville, 56 700, Hennebont. http://www.enfancedesarbres.com