Que valent nos opinions ?


Que valent nos opinions

Sur le plan de la vérité elles ne valent pas grand-chose. Je l’ai compris lors d’une conversation avec Christian Mellon, jésuite et intellectuel de haut niveau, alors rédacteur en chef de la revue Projet. C’était en 1990, nous venions tous deux de lire un livre du général Lacoste, ancien chef des services secrets français. Me demandant ce que j’en avais pensé, je répondis qu’il m’avait intéressé. Lui, au contraire fit la moue et déclarât que ce n’était qu’un livre d’opinion !

Cela me fit réfléchir. Je le savais depuis mes cours de philo mais je redécouvrais tout à coup l’importance de ce qu’on martèle dans les universités, à savoir qu’une opinion personnelle n’est souvent qu’une impression et ne convainc personne si elle n’est pas étayée par des observations, des faits, des arguments, des études, des citations, des exemples, des raisonnements, etc. Un débat qui n’est qu’une confrontation d’opinions différentes ne sert à rien, il ne conduit qu’à tensions, frustrations… et à silences polis. C’est pourtant ce qui se passe le plus souvent.

Cela guida avec bonheur mes travaux ultérieurs, mes écrits, mes échanges. Grâce à lui, je disposais désormais d’un véritable moyen de progrès qui me manquait. C’est dans cet esprit que j’ai écrit mes livres et autres textes. Pendant quatre ans, vous lisez, vous écoutez, vous êtes jour et nuit dans votre sujet à vous poser des questions et à murir des arguments qui vous ramènent à votre texte que vous reprenez plusieurs fois. Ces efforts ne conduisent pas forcément à la vérité mais ils font progresser.

J’ai beaucoup écrit mais j’ai rarement eu le plaisir de recevoir des avis contraires ou des éléments de débat. Les lecteurs ne font pas souvent la différence entre un livre argumenté et un livre d’opinion. Ils évitent l’affrontement d’opinion alors qu’un échange d’arguments serait apprécié et serait le meilleur moyen de progresser. Il est vrai qu’il faut du temps, ce que bien souvent on n’a pas. Et de l’écoute mutuelle ce que bien souvent on ne fait pas. Chacun pense à soi ou ce qu’il va dire et n’entends rien.

Avec un ami, nous avions organisé un échange oral entre deux personnes de hautes responsabilités qui s’affrontaient sans cesse dans des procès sans fin. Ils avaient accepté. Nous l’avions bien préparé de façon à ce que chacun puisse s’exprimer et être entendu. Cela se fit comme prévu et, sous notre conduite, chacun put s’exprimer longuement, écouter l’autre et répondre sans limitation. Pourtant, ce fut un échec, chacun restant sur ses positions. J’en parlais quelque temps plus tard à une spécialiste de la médiation qui m’expliquât que le résultat était inévitable car, si nos protagonistes avaient pu s’exprimer à satiété, ils ne s’étaient pas écoutés. Ils « n’entendaient » pas. Pour réussir cela nous dit-elle, c’est très difficile, il faut faire appel à un professionnel de la médiation qui utilisera des méthodes de reformulation, de poses, de synthèse, etc.

Cette réflexion devient importante et même grave à l’heure des réseaux sociaux où personne ne s’écoute réellement, où tout le monde dit tout et n’importe quoi et parle comme au café du commerce devant un verre de blanc, où celui qui parle le plus fort croit avoir convaincu, à l’heure où les élections finissent par être manipulées par des masses d’opinions primaires que chacun retransmets bêtement à ses contacts. Elles proviennent même souvent d’organisations malveillantes étrangères (ou pas) qui organisent scientifiquement la manipulation des opinions.

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