L’éducation aujourd’hui
Quelques mots sur l’éducation tant j’y attache de l’importance et tant elle n’est pas, en général, à la hauteur de ce qu’elle devrait être. Ma génération fut celle d’une transition entre l’éducation rigide et sévère de la première moitié du XX° siècle et l’éducation maternante de l’enfant roi qui sévit depuis quelques décennies. J’ai donc la chance d’avoir connu ces deux formes de près et, avec le recul, de pouvoir en mesurer les forces et faiblesses.
Jusqu’en 1940, pour simplifier, je dirais que l’éducation reposait sur la sanction et sur l’obéissance aux ordres, lesquels pouvaient intervenir sans explication ni justification, sur fond de cadre religieux qui transcendait puissamment les difficultés du système. L’obéissance était une vertu et, comme me disait un vieux maçon dans les années 70 : « On marchait au coup de pied au c… ».
Après la guerre et les outrances de l’autoritarisme, les parents et éducateurs s’ouvraient à des rapports plus souples, des explications de leurs ordres et des sanctions moins physiques. La psychologie qui se développait dans les milieux intellectuels entrait aussi dans l’éducation scolaire et familiale avec parfois ses excès plaçant la liberté des enfants sur un piédestal. Peu à peu, ceux-ci en profitèrent au point de refuser toute autorité, « d’interdire d’interdire » et même en 1968 de prétendre au pouvoir.
Avec la disparition progressive du cadre religieux, la désertification des campagnes au profit de la ville, le développement du travail féminin, la prolifération des divorces avec leur conséquence sur l’éclatement du cadre familial et la culpabilisation des parents, s’installa peu à peu l’ère de l’enfant roi et du refus de toute sanction avec ce que cela peut avoir de bon mais aussi d’excessif. Certes, cette généralisation est caricaturale mais on ne saurait la négliger en ceci qu’elle marque un très fort mouvement de balancier avec la situation précédente. Actuellement, l’enfant, trop souvent laissé à lui-même et aux réseaux sociaux, se construit comme il peut, parfois positivement, mais souvent mal par manque de repères ou d’exemples lui permettant de se construire une colonne vertébrale. Et je ne parle pas des cas extrêmes qu’on voit trop souvent dans les banlieues avec des jeunes totalement déstructurés qui ne communiquent que par l’invective et la violence.
Par cette introduction simplificatrice, je veux montrer la prégnance excessive des modes sur un sujet aussi sensible qui mériterait plus de stabilité. L’éducation est primordiale pour l’avenir de la société et, de manière générale, nous sommes loin de faire ce qu’il faudrait pour nous adapter à la nouvelle donne. C’est d’autant plus vrai qu’aujourd’hui tout change à grande vitesse. Je n’ai pas l’intention d’apporter la réponse à une question si complexe mais d’apporter quelques éléments de réflexion.
La poule naine
Je commencerai par l’exemple d’une poule naine que des amis nous avaient donnée pour éliminer les serpents dans notre jardin. Ils nous l’avaient donnée avec son coq, de race naine aussi. Mais celui-ci, perché sur un arbre devant la fenêtre des chambres, nous réveillant dès 5 heure du matin de ses cocoricos, nous l’avions mangé. Je ne vous raconte pas comment attraper un coq nain dont la spécialité est de vivre en hauteur dans les arbres mais ce fut un combat de quelques jours, à la fois drôle et épique, qui ne se termina que grâce au fusil d’un voisin. Bref, on garda la poule, plus discrète, elle n’avait pas besoin de poulailler et dormait aussi dans les arbres.
Sauf qu’un beau matin, alors que nous ne la voyions plus depuis quelques jours, elle apparaît dans le jardin, suivie de 12 merveilleux petits poussins. Quel évènement ! Et c’est là que commence l’histoire car, chaque soir, un spectacle commence. Elle se perche à un mètre de hauteur sur une branche et attend que ses poussins l’y rejoignent. Chacun d’eux doit nécessairement voler jusqu’à elle pour passer la nuit. Pour cela, ils battent frénétiquement des ailes, s’élèvent quelque peu et retombent. Ils attendent quelques minutes et recommencent. Les plus hardis parviennent à la rejoindre en moins d’une demi-heure, mais la plupart peinent plus longtemps et le dernier y parvient après trois heures d’efforts et de vaines tentatives. Et tous se retrouvent bien au chaud, blottis sous l’aile de cette petite poule de rien du tout. Comment peut-elle à la fois les faire tenir, tous les douze, en ligne sur cette petite branche toute fine et les tenir au chaud sous son aile ? Mystère. Heureusement, elle a commencé la séance longtemps avant la tombée de la nuit, car elle semble savoir que ce sera long. Pourtant, à aucun moment elle ne vient à l’aide de ses malheureux qui tombent et retombent. Pour nous, le spectacle est très pénible, à la fois comique et poignant. Que faire ? Dès que nous approchons, nous leur faisons peur et retardons leur travail. Nous ne pouvons que regarder, le cœur serré. Mais tout finit bien. Sauf que le spectacle recommence tous les soirs avec toujours autant de difficultés car, tenez-vous bien, après quelques jours, la poule choisit une branche plus élevée si bien que la durée de spectacle dure toujours aussi longtemps. Un mètre cinquante, deux mètres, deux mètres cinquante… vers le vingtième ou trentième jour, je ne sais plus, elle se limite enfin définitivement aux alentours de 3 mètres. Mais toujours sur une branche qui nous paraît trop frêle.
Quelle magnifique leçon de choses était-ce pour nous ! Pourquoi la mère poule était-elle si dure, si constante et impassible ? Réponse évidente : pour les apprendre à voler.
Mais nous n’avions rien compris : quelques jours plus tard, nous constatons qu’il n’y a plus 12 mais 11 poussins. Surprise et interrogation… Le douzième s’est-il perdu ? On le cherche sans le trouver. Désolation… mais quelques jours plus tard, ils ne sont plus que 10 ! Sans doute l’œuvre d’un chat ? Quelle horreur ! Mais ce n’est pas fini, tous les 2 ou 3 jours il en disparaît un de plus et cela continue… La fin de l’histoire est tragique car ils disparaîtront tous jusqu’au dernier.
Et là, enfin, nous comprenons le travail extraordinaire de la mère-poule pour protéger ses poussins en les obligeant à passer la nuit sur des branches hautes et fines. Quelle leçon d’éducation ! Elle sait que le monde est dur et impitoyable et qu’il faut absolument apprendre à voler ! Elle élève à la dure.
Le lapin blanc de David
Mon second exemple est celui du lapin blanc de David, notre fils alors âgé de 8 ou 9 ans. Pour son anniversaire, son parrain lui avait offert un merveilleux petit lapin blanc. Je lui avais construit une petite cage sous forme d’une caisse fermée sur le haut par un grillage et ouverte sur le bas. Il broutait l’herbe et on déplaçait la caisse. Notre chien s’y était habitué. David sortait souvent son lapin pour jouer et le chien s’y était fait. Peu à peu, David laissait le lapin un peu plus libre et le chien jouait avec.
Tout allait bien sauf qu’un jour, sans qu’on sache pourquoi, le chien tua le lapin et le laissa dans un piteux état, exsangue, pénible à voir. Fortement ému, David pleurait et nous ne savions que dire. Je réalisai tout à coup qu’il me fallait faire quelque chose. Faire diversion ? Insuffisant. Soudainement une idée me vint : je pris la dépouille et entrainai David en lui expliquant que j’allai déshabiller le lapin comme on fait pour tous les lapins. Je lui attachai les pattes et le suspendit, je coupai la peau du haut de façon à pouvoir la tirer vers le bas. David m’aidait et j’expliquai calmement ce que je faisais. Peu à peu la peau pleine de sang noir disparût et le lapin nu comme en boucherie devint regardable. Le fait d’agir avait apaisé David et l’idée de manger le lapin et le mettre au frigo ne le choquait pas. La vie reprenait son cours, même si c’était dur.
Par cette histoire qui faisait dire à mon épouse que je n’avais pas de cœur (réaction maternelle que je respecte), je veux montrer que la position maternante n’est pas toujours la bonne solution, qu’un enfant est parfaitement capable d’assumer les réalités d’un monde parfois très dur, qu’un père n’est pas une mère et ne doit pas être une mère, qu’il a sa fonction propre dont celle d’accompagner l’enfant dans l’observation des réalités, et même de le sortir du giron de sa mère. De toute façon, il faut qu’il en sorte un jour, c’est ce qui lui permet de devenir adulte. Et loin de moi l’idée de réduire la fonction maternelle… si essentielle et si belle.
Petites conclusions
Dans l’histoire précédente, la poule assure les deux fonctions. A la fois, mère durant toute la nuit, elle protège ses poussins sous son aile et père le soir lorsqu’elle les laisse seuls face à la dure réalité qui exige de voler jusqu’à la haute branche. Le ferait-elle si le coq était présent ? Ou le fait-elle parce que le coq est absent pour protéger du chat ? En tous cas, elle assume et fait le job. Elle est inflexible, au point que si l’un des poussins ne parvient pas à la rejoindre, elle ne pourra pas aller le chercher sans que les autres la suivent. La sanction serait encore plus grave.
Et nous qui pleurnichons devant la mort des poussins, n’avions-nous pas aussi en tuant le coq, privé les poulets de défense ? Obligé la mère à jouer le double rôle ? Ne sommes-nous pas finalement responsables ? Sans doute, mais cela semble nous éloigner du sujet.
Non pas, car en fait tout cela illustre plusieurs choses du processus éducatif : la complémentarité homme-femme – la nécessité de leur double jeu – la possibilité de compenser l’absence de l’un des parents, obligeant celui qui reste à jouer les deux jeux, mais avec risque d’échec – la possibilité de la sanction assumée par la poule – et encore ceci : ce n’est pas le parent qui apprend à voler, c’est l’enfant qui apprend dans sa solitude et dans la peine ; le rôle du parent est essentiellement de montrer le chemin, de fixer le but. Autant de points qui, chacun, sont pleins d’enseignement et enrichissent notre réflexion.
Que faire ?
Alors qu’ils apprennent un métier, les parents n’apprennent pas à éduquer leurs enfants. Au fil des problèmes, ils improvisent avec leur bon sens, leur bonne volonté et leur cœur. Leurs choix ne sont pas toujours les meilleurs. Tantôt ils en font trop, tantôt au contraire ils démissionnent. Pourtant il existe des écoles de parents, des livres, des conseillers d’éducation. Considérant les conséquences extrêmes de l’éducation sur la société, on devrait aller plus loin en créant des centres éducatifs. On le fait bien pour le permis de conduire. Globalement, le coût pour la société en serait diminué si l’on met dans la balance toutes les conséquences de l’éducation.
Les parents éducateurs apprendrait à distinguer les rôles indispensables qu’ils ont à exercer et à leur donner toute leur importance : la tendresse, l’écoute compréhensive, la fermeté, la sanction. Et en tous cas, l’exemple, la présence.
Actuellement, la complexité des situations familiales force les parents à laisser une grande liberté aux enfants, ceux-ci s’y sont habitués et se sont peu à peu convaincus de leur droit à cette liberté. Ils en profitent et tant mieux pour eux… Mais à court terme seulement, car oui ils en jouissent, par contre à long terme ils le paient très cher : car cette habitude de la liberté bute un jour où l’autre sur une catastrophe : séparation, divorce, enfant balloté, difficultés professionnelles… quand ça ne va pas plus loin comme femme battue, drogue, burn out, suicide, etc. et des conséquences moins directes comme cette possibilité de dire n’importe quoi sur les réseaux sociaux dont on aperçoit maintenant les effets délétères. Bref, je constate que les jeunes paient très cher la liberté qu’on leur laisse avant 18 ans où avant qu’ils n’aient eu le temps de se construire.
Ils sont dans un monde tragique mais ils ne le savent pas et, sans nous en rendre compte, on fait tout pour laisser croire le contraire par les facilités qu’on leur accorde, par nos petites démissions parentales et nos petites lâchetés. Leur réveils sont brutaux et comme ils ne sont pas armés pour y faire face, leur vie en est gâchée : solitude, problèmes d’emploi, difficultés financières, maladie, débacles familiales, etc.
En premier lieu, il faut apprendre à distinguer les verbes « expliquer » et « justifier ». Ce n’est pas parce qu’on s’explique les raisons d’une bêtise, d’une faute ou d’une incivilité que celle-ci est plus acceptables, c’est à dire quasiment justifiée. Or ce pas est trop souvent vite franchi alors que l’enfant a besoin de connaître les limites à ne pas franchir. C’est d’ailleurs valable aussi pour les adultes. Si une action n’est pas justifiée et qu’elle n’est pas sanctionnée ou pour le moins traitée comme telle (je veux dire avec intelligence), elle recommencera. Que ce soit dans l’éducation parentale, dans les médias, dans la justice, ce mélange des deux verbes est une source fréquente d’erreurs éducatives.
Par ailleurs, un grand nombre de méfaits n’étant pas sanctionés, il ne faut pas s’étonner de la fréquence des récidives. Autrefois, on allait trop loin dans la sanction, actuellement l’excès est en sens inverse. On materne les enfants et adolescents et d’autant plus qu’ils ont souvent des parents divorcés ou que, les parents travaillant tard ils sont livrés à eux-mêmes. Les parents culpabilisent et ont tendance à accepter l’inacceptable. Ainsi, les jeunes disposent d’une liberté qu’ils ne sont pas capables d’assumer faute de guide solide : on ne saurait le leur reprocher. Par contre, c’est aux parents qu’il faut apporter des solutions alors qu’il n’ont rien pour les apprendre. Au contraire, en famille on est allé jusqu’à interdire la petite gifle bien méritée, en justice la sanction fonctionne mal, elle est longue à venir, elle n’est pas automatique, elle n’est pas dissuasive et même souvent oubliée. Il y a toute une réflexion à faire sur la sanction. Par exemple en France, on n’a commencé à respecter les limitations de vitesse qu’à partir du moment où les sanctions sont devenues automatiques et rapides. En matière d’incivilités, notre faiblesse réside plus au niveau de l’application des peines et des délais de jugement.
Bref, le sujet est immense et conscient des limites de cette réflexion, je la concluerai par une invitation à donner de l’importance au sujet. Nous venons de passer 70 ans dans un monde facile de bisounours dans lequel on trouvait facilement des « justifications » ainsi l’évolution en cours semble annoncer quelques retours à la barbarie. Ce sont les nouvelles générations qui paieront le prix de nos laisser-aller. Elles commencent à souhaiter des gouvernements extrémistes ou dictatoriaux.
Pour l’éviter ou pour y résister, il devient urgent de « mettre le paquet » sur l’éducation.
Merci cher lecteur de vos remarques sur ce texte.
https://jeanmarichez.fr/petites-idees-a-creuser/ Voir au paragraphe « Vie courante ».