Cher gréviste
Cet article va te déranger mais quand tu liras sa conclusion tu comprendras qu’il parle au contraire dans ton intérêt. Car tu n’as pas envie de couper la branche sur laquelle tu es assis alors que, sans t’en rendre compte, tu l’es peut-être. Alors écoute-moi bien jusqu’au bout. Je suis ton ami et je veux le rester.
À la SNCF, une petite catégorie de personnel comme les contrôleurs a déclenché (hors syndicats) une grève pour les fêtes de fin d’année 2022 perturbant gravement les projets de milliers de voyageurs. Mon idée n’est pas de gémir une fois de plus sur le malheur des usagers mais de réfléchir sur l’abus de pouvoir que les grévistes utilisent de plus en plus souvent : grèves du métro parisien qui bloquent tous les usagers de la capitale et créent des perturbations monstres, grèves des contrôleurs aériens ou des agents de l’EDF… qui vivent dans des secteurs vitaux ou irremplaçables, grèves des camionneurs qui bloquent les routes, etc. Le droit de grève est une bonne chose qu’il faut défendre jusqu’au bout mais pas dans ces excès qui ont souvent été dénoncés sans résultat car les intéressés brandissent la sacralisation constitutionnelle du droit de grève. L’idée de ce billet est de ne pas en rester là car il n’est pas question de contester cette sacralisation mais de constater quatre problèmes.
Il y a dévoiement de l’esprit de la grève car l’inconvénient d’une grève doit être supporté essentiellement par celui qui a le pouvoir de refuser ou donner satisfaction au gréviste, c’est à dire le propriétaire de l’entreprise qui est ici l’État. Par contre, lorsque la souffrance est subie par le grand public, il y a changement de cible, en arrêtant le pays le droit de grève devient léonin. Ce n’est pas acceptable.
Il y a un trou dans la règlementation du droit de grève, comme lorsqu’un patron met un employé à la porte sans motif grave, ce que la loi empêche alors qu’elle n’empêche pas les grévistes de prendre le public en otage.
Il y a prise d’otages sous couvert de droit de grève. Comme lorsque, dans une entreprise privée le personnel prend illégalement en otage le patron, ou bloque l’entrée d’une usine.
Il y a inégalité du droit car le gréviste qui prend le public en otage dispose d’un pouvoir de pression énorme par rapport à son équivalent dans l’ensemble des autres entreprises, et autres secteurs d’activité. Un pouvoir léonin qui dépasse l’esprit du droit de grève si on en juge par les acquis du personnel de la SNCF qui disposent d’avantages salariaux et non salariaux énormes par rapport à ses équivalents dans d’autres secteurs d’activité.
Il y a privilège, qui à ce titre doit être aboli. Il a même perverti en profondeur l’esprit du service public car forts de cet avantage, le personnel en profite au point d’oublier sa mission. Un peu comme ces nobles d’autrefois qui, grâce à leur privilèges, se croyaient tout permis… jusqu’à ce que la révolution y mette fin. Tout se passe comme si la SNCF était faite pour satisfaire son personnel avant de satisfaire le service des voyageurs.
LA LOI ÊTRE DONC ÊTRE MODIFIÉE
Cela n’est pas simple. De nombreuses voies peuvent être explorées. Par exemple, au Japon les grévistes mettent un brassard de couleur, acceptent la suppression de leur salaire, mais continuent leur travail. Dans d’autres situations, ils travaillent plus que d’habitude, ou font une grève du zèle, ou érigent des panneaux, ou n’encaissent plus les passagers d’un service de transport, etc.
On peut aussi établir des lois qui évitent les inconvénients pour les usagers des services publics : billets gratuits, grèves du zèle, interdiction de certaines grèves pour la SNCF, interdiction des blocages de grands axes pour les camions, interdiction de certaines coupures d’électricité, formules de grève pour les aiguilleurs du ciel, etc. Dans tous les cas, il s’agit de trouver des solutions qui, à la fois, gênent les autorités ou les payeurs et ne conduisent pas à une position de pouvoir léonine des grévistes. Bref des formules d’équilibre et de sagesse.
J’entends déjà les cris d’orfraie du monde syndical dont on touche le moyen d’action. Mais l’excès de pouvoir dont ils disposent dans certains secteurs se retourne contre eux de deux manières. La manière douce et la manière brutale. La douce ne se voit pas, c’est la plus lourde et la plus insidieuse. C’est le lent appauvrissement du pays qui se crée par l’externalisation de notre industrie qui est indirectement obligée de supporter les coûts d’avantages sociaux excessifs dans d’autres secteurs que le leur[1]. En pensant bien agir pour le bénéfice de quelques-uns, les syndicats appauvrissent définitivement l’ensemble du pays. Qui en souffre le plus ? Les plus pauvres.
La manière brutale se verra lorsque l’extrême droite ou un gouvernement autoritaire excédé par ces excès réprimera ou supprimera carrément toutes formes d’actions syndicales. Si donc, on ne corrige pas cette injustice de manière concertée et démocratique, cela se fera un jour de manière beaucoup moins sage. Nous venons de vivre 70 années de paix et de réelle démocratie et nous n’avons pas assez conscience de la puissante droitisation autoritaire en marche dans nos pays de cocagne.
Notas :
Contrairement à ce que certains pensent, le droit de grève n’est pas un droit absolu et certaines limitations peuvent être apportées, liées à la profession exercée ou aux conditions générales d’application de ce droit. Pour des raisons d’ordre public, certaines professions ne peuvent faire grève. C’est déjà le cas par exemple, des policiers, des magistrats, des militaires, des personnels des services pénitenciers ou des CRS.
https://www.l-expert-comptable.com/a/532248-les-limites-du-droit-de-greve-en-france.html
Des réquisitions sont possibles et permettent d’éviter le pire quand l’État considère que les blocages sont devenus insupportables pour l’économie du pays. Mais l’expérience montre qu’elles ne se font pas pour diverses raisons comme ne pas envenimer la situation, calmer les passions, prendre le temps de comprendre une situation nouvelle, etc.
Voir aussi cet article du Figaro
https://www.lefigaro.fr/social/greves-serait-il-possible-d-imposer-en-france-un-veritable-service-minimum-dans-les-transports-20230117
Rappel d’un principe : La grève est un moyen de force, or la force ne doit être utilisée que pour des situations graves. Ce n’était pas le cas des contrôleurs de la SNCF pour Noël 2022.
[1] Notre PIB par habitant n’est plus que le 23° au monde pour le FMI, le 34° pour la banque mondiale et le 32° pour l’ONU.