Conflits internes
Voici un texte prémonitoire que j’avais écrit il y a quelques années
Il y a aujourd’hui en Europe une vingtaine de conflits, ils sont plus graves qu’on ne le croit, au point de pouvoir dégénérer en luttes armées ou en guerres civiles.
La plupart sont en sourdine parce que le développement de l’Union Européenne estompe peu à peu les frontières et laisse espérer des liens nouveaux, des organisations nouvelles. L’Union s’est construite pour éviter la guerre en Europe, pour mettre en œuvre le « plus jamais ça » après l’horreur extrême des guerres du xx° siècle. Ce n’était pas une simple vue de l’esprit puisque notre continent habite encore aujourd’hui des conflits communautaires graves. Grâce à l’UE, ils sommeillent mais peuvent éclater et en entraîner d’autres comme on l’a vu dans l’ex-Yougoslavie. En voici quelques exemples.
Suite à la première guerre mondiale, la Hongrie fut contrainte de céder la Croatie à la Yougoslavie, la Transylvanie à la Roumanie et une partie de la Slovaquie à la Tchécoslovaquie. Les populations concernées restent toujours extrêmement sensibles à cette expatriation forcée. Ainsi, les Roumains de Transylvanie se définissent d’abord comme Hongrois et ensuite comme Roumains. Ils sont un million et demi. Ils parlent le hongrois chez eux et dans leur localité, mangent selon les coutumes hongroises, vont dans des écoles hongroises, etc. Ils n’aiment rien de ce qui est roumain. Pour comprendre l’intensité de ce sentiment, on peut imaginer ce que serait le nôtre si les arabes devenaient si nombreux en France que leur langue soit devenue obligatoire dans les écoles. Ce sentiment est donc très fort au point de pouvoir se transformer en conflit grave s’il n’y avait l’espérance d’une issue à cette situation « intolérable ». Cette espérance se situe dans l’Europe dont l’émergence calme les passions, relativise les difficultés et apporte la prospérité. La peur étant source de conflit, il suffirait de peu de choses pour entrer dans des dynamiques conflictuelles.
La Roumanie abrite aussi de nombreuses minorités ethniques comme les Tziganes et les Szeklers. Les seconds réclament leur autonomie sur la base de leur origine ethnique et la reconnaissance de leur identité. Les premiers au nombre de 600 000 forment une véritable communauté, haïe par les Roumains qui disent les reconnaître à vue ou à leurs manières. Leurs coutumes diffèrent de celle des Roumains. On les retrouve aussi dans d’autres pays d’Europe mais en quantité moindre et de manière moins conflictuelle. En quoi cette conflictualité peut-elle devenir grave ? Tout simplement en ce que la haine peut un jour exploser et se transformer en nettoyage ethnique comme cela s’est produit au Kosovo en 1998. Et cette animosité est toujours forte chez les Roumains. L’usage de plusieurs langages ne facilite pas les choses, notamment dans l’éducation, la loi et l’administration. Le nom des rues et les indications des institutions sont écrits en hongrois, en allemand et en roumain dans les villes de Transylvanie.
Moldavie : Il y a trois Moldavie. La première, à l’ouest, la plus grande n’est qu’une province de Roumanie (donc dans l’UE), elle rêve de réunification avec la Moldavie sa voisine de l’est avec laquelle elle partage une histoire culturelle et linguistique. Cette voisine est indépendante depuis 1991, avec 2,6 millions d’habitants, capitale Chisinau ; c’est d’elle qu’il s’agit essentiellement lorsqu’on parle de Moldavie. Au sein de la seconde région, se trouvent des petites enclaves où l’autorité de Chisinau ne s’exerce pas (Gagaouzie). Elle est séparée d’une troisième région plus orientale, à l’est du Dniestr, pro-russe, la Transnistrie (ou RMD), capitale Tiraspol, 500 000 habitants à la suite d’une guerre civile sanglante soutenue par la Russie. C’est cette troisième région qui pose problème. Le fait qu’en 2004, des écoles en langue roumaine aient été fermées en Transnistrie et l’accès aux salles de classes interdit par l’armée, n’est que l’une des nombreuses illustrations de cette tension. Le retrait des troupes russes n’a jamais eu lieu. Elle bénéficie de soutiens russes importants (gaz, retraites, stock d’armes…) et dispose ainsi de 85 % de la puissance économique de la Moldavie, alors qu’elle ne représente que 18 % de son territoire. L’identité et la langue de sa population se divisent grosso modo en trois tiers, russe, moldave et roumains. Cet émiettement du pays et les attirances occidentales de l’Ukraine et de la Moldavie (seconde région citée) risquent d’engendrer un conflit impliquant la Russie dont le contrôle est puissant et peu respectueux des droits de l’Homme. La pauvreté, le commerce d’armes et d’enfants et le trafic d’organes sont les témoins de cette instabilité.
La Croatie et la Slovénie se disputent encore la délimitation d’une frontière maritime. La Slovénie, soutenue par l’Italie, est en désaccord avec son voisin croate sur le problème d’accès à la mer Adriatique. Malgré la décision d’un tribunal européen en 2017 favorisant la Slovénie, la Croatie en refuse l’application.
En Croatie, un certain nombre de problèmes demeurent, notamment concernant le droit des minorités et le droit au retour des Serbes de Croatie. Le gouvernement avait fait adopter une loi sur les minorités qui leur garantissait une meilleure représentation au Parlement, mais en pratique le communautarisme prévaut. Ainsi, l’Express rapporte que Zagreb subit toujours une sorte d’apartheid, où les lycéens se traitent de « Tchetnik » et d’ « Oustachi ». A l’école maternelle, les enfants sont également séparés selon leur ethnie, Croates ou Serbes. Ces tensions ethniques étaient également mentionnées par Amnesty International en mai 2018 dans un rapport soulignant « le manque de volonté des autorités d’enquêter de manière prompte et approfondie sur les agressions violentes, par des acteurs non étatiques, de personnes retournées en Croatie et de membres de minorités ethniques ». Enfin s’ajoute le problème de la restitution des biens. Seul un tiers des 300.000 Serbes est rentré, mais des difficultés en matière de restitution de leur propriété, de reconstruction des maisons et de validation des papiers d’identité demeurent encore.
En Bosnie, après la guerre bosno-serbe de la fin des années 90, le statut du pays ne tient toujours pas debout : il maintient deux régions qui sont à la fois séparées par une frontière géographique et religieuse mais officiellement unies. L’économie n’est pas repartie, le pays est exsangue, il est encore déchiré par des communautés qui se regardent en chiens de faïence dans la tristesse et l’impossible espoir de reconstruire leur pays. Cette animosité est profonde car elle s’appuie sur fond de haine religieuse et historique. Cette région d’Europe est majoritairement musulmane à 70%, comme aussi le Kosovo à 90%, l’Albanie à 90% et en partie la Macédoine à 40%. Les pays du golfe et la Turquie y investissent pour soutenir ce foyer d’islam en Europe au grand dam de leurs voisins chrétiens de Croatie et orthodoxes de Serbie.
Le Kosovo, après sa guerre avec la Serbie, est géré de manière indépendante sous contrôle international. La population albanaise, majoritairement musulmane, représente 95% de la population et ne veut plus entendre parler des Serbes, majoritairement chrétiens orthodoxes. Elle est regroupée notamment au Nord et dans quelques enclaves que les Kosovars contrôlent de moins en moins, où ils obéissent de plus en plus à Belgrade qu’à Pristina. La situation est bien plus compliquée qu’elle ne l’était auparavant et quasi anarchique. Le Kosovo reste très instable, source de conflit et sans espoir de négociation. Comme pour la Bosnie, il reste en état de grande faiblesse économique et politique.
L’Albanie, sa voisine, a été affaiblie par un communisme pur et dur jusqu’au début des années 90, et depuis par une corruption endémique qui pousse ses meilleurs éléments à émigrer vers l’Union Européenne. Les contraintes religieuses sont aussi un frein à la modernisation du pays.
La Macédoine du Nord est un pays coupé en quatre. Au nord, des populations serbes, à l’est des Turcs et des Bulgares, au sud des Grecs et à l’ouest des Albano-musulmans. Le malheur voulant qu’on soit orthodoxe au nord et au sud, mais musulman à l’est et à l’ouest, le pays est une poudrière, toujours prête à s’exciter. D’autant que les Albanais continuent de rêver à la grande Albanie. Les forces européennes calment le jeu sur place depuis 2003 mais cela n’est pas sans danger.
Les Sudètes forment une région au nord de la Tchéquie où vivaient 3,2 millions d’Allemands. Après la guerre, les haines étaient telles que l’expulsion vers l’Allemagne de 3 millions d’entre eux fut considérée par la communauté internationale comme la moins mauvaise des solutions et mise en œuvre. Privés de leur nationalité tchécoslovaque tous leurs biens furent confisqués. Les descendants des expulsés réclament le droit au retour, la restitution des biens et l’indemnisation des dommages subis. L’entrée de la Tchéquie dans l’Union et la libre circulation n’amortit que lentement cette tension qui reste vive.
L’île de Chypre est divisée entre une partie indépendante, d’origine grecque au Sud, prospère et orthodoxe, et une partie occupée par les Turcs au Nord (un tiers de l’île), pauvre et musulmane. Cette séparation est la conclusion d’une guerre sanglante entre les deux communautés en 1974. L’île de Chypre appartient de droit à l’Union européenne, y compris la partie turque mais l’acquis communautaire y est suspendu. Les haines restent vivaces. Le statut de l’île est un point de contentieux majeur entre la Turquie et l’UE. La partie turque n’est pas reconnue par la communauté internationale. Entre les deux, une ligne de démarcation (ligne verte) est contrôlée par l’ONU. 80% de la population totale de l’île est dans la zone sud qui ne représente que 64% du territoire. L’économie chypriote souffre de la partition de l’île. De plus, les Britanniques y disposent de deux territoires (5% du total) en pleine souveraineté.
Le Pays Basque espagnol est une zone de conflit potentiel après plusieurs années de terrorisme pour l’indépendance. Les armes sont rendues et l’autonomie donnée à cette région est très grande, mais des revendications vers l’indépendance demeurent. La population condamne majoritairement la violence mais reste sensible à la demande d’autonomie. Le conflit se répercute sur la partie basque de la France.
La Catalogne revendique majoritairement son indépendance comme l’ont montré les élections régionales de décembre 2017. Comme les processus n’ont pas été établis en concertation dans les cadres constitutionnels, la situation reste bloquée entre d’une part Madrid et les partisans de l’unité et d’autre part les partisans de l’indépendance. Les passions sont exacerbées et maintiennent cette région dans une situation conflictuelle qui pourrait dégénérer.
La Corse est depuis longtemps une région de revendication d’indépendance et d’attentats. Les armes sont calmées et la revendication vers plus d’autonomie s’est tempérée. Le conflit reste latent pour certains extrémistes. Il mérite d’être géré avec doigté.
En Irlande, le conflit concerne la partie Nord de l’île divisée entre protestants, liés au Royaume-Uni, et catholiques proches du reste de l’île, indépendante. Une guerre civile interminable a laissé des traces profondes dans la population mais elle n’est pas réglée définitivement et les passions restent vives. Des étincelles peuvent toujours remettre le feu aux poudres comme on le craint actuellement avec la mise en œuvre du Brexit qui remet de facto une frontière alors que son existence est localement inacceptée et belligène.
Les Pays Baltes, qui hébergent d’importantes minorités russes, craignent un coup de force russe qui les rattacherait à la Russie avant que l’OTAN n’ait le temps d’intervenir. Ce n’est pas qu’une hypothèse depuis les multiples annexions russes de la Crimée, et celles, moins connues, des provinces géorgiennes de l’Abkhazie et de l’Ossétie du sud. Cette crainte augmente à mesure des nouvelles dispositions militaires russes à Kaliningrad et malgré la présence proche des forces de l’OTAN. Des questions complexes de frontières sont encore latentes entre les Pays Baltes et ses voisins Russes et Biélorusses. Certains spécialistes pensent que cette région est aujourd’hui la plus dangereuse d’Europe.
La Belgique connaît aussi de profondes divisions entre Wallons et Flamands qui s’autoalimentent en permanence autour d’une opposition linguistique, souvent en limite d’explosion, empêchant la bonne gestion du pays. Sans la force unificatrice de l’Union, la sécession serait déjà faite.
D’autres minorités se manifestent comme ces russes en Pologne et autres pays d’Europe de l’est, ces hongrois en Voïvodine serbe.
Bien des Européens se définissent moins par leur nationalité que par leur régionalisme, leur religion ou leurs ancêtres. L’émergence de l’Union européenne et des espoirs qu’elle suscite permet de relativiser leurs passions, elles peuvent néanmoins ressurgir avec violence.
Aux marges de l’UE se trouvent aussi des conflits dans lesquels aucun des pays de l’Union n’aurait, seul, la capacité d’intervenir car, pour la plupart, ils concernent la Russie que seule l’OTAN peut contrer efficacement. Sauf que celle-ci, sans la volonté américaine qu’on peut mettre en doute depuis la présidence de Trump, n’offre plus la même garantie. Dès lors, seule l’Europe serait en mesure de faire le poids à condition de s’y préparer.
L’Ukraine dans sa moitié Ouest rêve de l’Europe alors que sa partie Est se veut russe. Depuis 2013, une guerre civile a fait plus de 10 000 morts et un million et demi de personnes déplacées, 850 000 à l’intérieur de l’Ukraine, 600 000 en dehors dont 350 000 vers la Russie et 250 000 vers les pays de l’Union européenne. Elle semble actuellement se transformer en conflit de « basse intensité ». L’intervention russe a été importante et lui a permis, en dépit de la communauté internationale, d’annexer la Crimée. Les tensions restent latentes et, bien qu’extérieures à l’UE, pourraient la concerner dans le futur en cas d’évènements beaucoup plus graves.
Kaliningrad, autrefois Königsberg, est une petite région, grande comme trois départements français, qui porte le nom de sa ville principale et compte 900 000 habitants. Autrefois d’origine allemande elle fut annexée par les Soviétiques en 1945. Elle est aujourd’hui russe, bien qu’enclavée dans l’Union Européenne, entre la Pologne et les Pays Baltes, et donc sans liaison territoriale avec la Russie. Sa position sur les bords de la Baltique lui confère une évidente valeur stratégique que Moscou ne cesse de renforcer sous les yeux inquiets de ses voisins de l’Union Européenne.
La Carélie, est une province russe qui contient au sud-est un petit territoire contesté par le mouvement finlandais Pro Karelia. Le problème semble réglé aussi bien pour Moscou que pour Helsinki, encore qu’on l’évoque, avec une infinie prudence, entre diplomaties.
On pourrait encore citer d’autres problèmes, d’autres conflits loin d’être anodins, comme Gibraltar, territoire anglais en terre espagnole, ou même à Ceuta et Melilla territoires espagnols revendiqués par le Maroc tout proche.
Conflits non territoriaux. La peur de l’islamisation européenne porte un conflit potentiel d’une toute autre nature que les précédents mais qu’il faut évoquer pour sa gravité et son incidence sur la paix. Il y a d’une part l’agression islamiste qui, selon des stratégies dûment explicitées dans les livres de quelques grands penseurs de l’islamisme vise à instaurer l’hégémonie mondiale de leur religion et de leur culture. Il y a d’autre part la crispation générale des Européens devant l’immigration en provenance de l’Afrique qui laisse des millions de gens errant sans travail dans les banlieues avec toutes les conséquences qu’on connaît et surtout l’empreinte montante d’un l’islam largement dominé par ses composantes islamistes à la culture régressive et radicale. Cela se traduit par une forte poussée des nationalismes, extrémismes et autres populismes (Pologne, Hongrie, Autriche, Slovaquie entre autres…). Poussés par leurs électeurs, de nombreux gouvernements choisissent des solutions radicales.
Face à la poussée de ces deux extrémismes, nous aurons bien besoin de l’Union européenne pour amortir les désordres ou catastrophes qui nous attendent.