Le surnaturel et le Trivial


Le Surnaturel et le Trivial

Précisons le sens que j’entends aux deux mots dont je vais parler. Le surnaturel : quelque chose qui n’existe pas dans la nature, mais à quoi des humains donnent une existence. Le trivial : quelque chose qui est banal, ordinaire, commun. Je ne l’utilise pas ici dans le sens vulgaire ou grossier.

En écrivant mon livre sur les dangers des croyances religieuses dans le monde, j’ai souvent été amené à réfléchir sur le surnaturel et je voudrais en dire quelques mots car très souvent ce que nous croyons relever du surnaturel relève “aussi“ de réalités toutes simples de la vie courante que je qualifie de triviales. C’est tout à fait étonnant. Voyons cela avec plusieurs exemples.

Prenons le mot Dieu qui, peu ou prou existe pour une bonne moitié de l’humanité ; dans son sens surnaturel il désigne un être surpuissant, créateur de l’univers, qui saurait tout, verrait tout, déciderait tout, etc. et dans un sens concret, selon Saint Augustin, il désigne ce qu’on ne connaît pas. Ce serait un mot pratique pour désigner nos trous de connaissance. Et c’est en tout bien tout honneur que certains y croient et que d’autres n’y croient pas. C’est l’approche surnaturelle.

La plupart des grandes religions et notamment les chrétiennes affirment que Dieu est en chacun de nous, sous forme du bien, de la conscience, de l’altruisme ou de l’amour qui est en nous. Autrement dit, une petite part de cet être surnaturel le plus extraordinaire qui soit, aurait une existence toute simple, accessible et tout à la fois bien connue et fort inconnue de nous-mêmes. C’est l’approche triviale.

Dans ce sens, on peut dire comme certains que Dieu voit tout, sait tout et même nous parle à chaque instant. Il serait alors également présent en ceux que nous côtoyons ce qui n’est pas rien et leur donne une extraordinaire dimension. Ce surnaturel là devient alors complètement accessible, il rejoint le trivial. Il concerne même autant les incroyants que les croyants.

D’ailleurs, il est intéressant d’inverser la proposition et de dire que ce que nous portons en nous de bien et de bon est « comme » une part de Dieu, au sens de Saint Augustin, à la fois surnaturel et trivial. C’est moins abrupt que de partir de Dieu qu’on ne connait pas pour en tirer des conclusions ; au contraire on part de nous pour aller vers quelque chose qui nous dépasse et qu’il nous appartient de trouver.

Et pourquoi ne pourrait-on pas aussi en dire autant du diable, cet être surnaturel auquel on ne croit plus guère mais qui désigne tout ce qu’on ignore sur le mal. N’existe-t’il pas aussi en chacun de nous ? Et cela d’une manière bien palpable et concrète ? Là aussi, le surnaturel rejoint le trivial… ou plutôt l’inverse ?

Autre exemple encore. Beaucoup de gens, les athées en particulier, ne croient pas à la prière, cet acte intime qui consiste à s’adresser à Dieu et à l’écouter. Mais si une part de Dieu est en chacun de nous (y compris chez les athées car il n’y a pas besoin d’y croire pour savoir qu’il y a en nous une part de mystère), la prière prend tout son sens car alors oui ce Dieu-là nous écoute et s’adresse à nous. La prière et la méditation prennent du sens. En croyant communiquer avec un être extraordinaire et extérieur qui sait tout, entend tout et voit tout, nous sommes trivialement entendus par ce petit quelque chose en nous qui sait, entend, voit et nous parle.

Prenons maintenant cette idée de vie après la mort que tant de gens rejettent mais qui représente un pilier de croyance pour les autres. Pour tous, elle relève du registre surnaturel et on ne peut y accéder que par la foi donc par croyance. Pour les croyants, il s’agit d’une forme de vie spirituelle, désincarnée, surnaturelle. Mais en fait, de manière triviale, dans le bon sens du mot trivial bien sûr, lorsque nous mourrons, nous “vivons“ encore dans l’esprit de nos proches, de ceux qui nous ont aimé comme aussi dans l’esprit de ceux qui nous ont haï, et il s’agit bien là d’une forme de vie spirituelle puisque c’est une vie de l’esprit au sens le plus trivial du mot. En partant, nous laissons des réalisations concrètes, des traces de notre vie, des paroles qui ont marqué en bien ou en mal, nous laissons aussi des enfants que nous avons éduqués et qui eux-mêmes laisseront des traces, ce n’est pas rien. Et, siècle après siècle, le monde se construit sur l’accumulation de toutes ces traces. Autrement dit, cette vie après la mort qui est une vie spirituelle comme le disent peu ou prou toutes les religions existe aussi de manière concrète et bien réelle. Ainsi, il n’est même plus question d’y croire ou non puisqu’elle est là, tout simplement devant nos yeux. On peut même aller plus loin en disant que notre corps défunt, en retournant à la terre, est à nouveau absorbé par d’autres formes de vie plus complexes comme des bactéries, des vers ou insectes qui seront ensuite eux-mêmes absorbés par des oiseaux et autres bestioles de la création, qui transmettent elles-mêmes la vie ad-libitum. Vous avez dit trivial ?

Cette veine de réflexion ouvre bien des horizons. Ainsi, chez les chrétiens, l’idée de résurrection de Jésus qui paraît complètement folle ou irréaliste, nous est donnée comme une résurrection corporelle et spirituelle. Mais il n’était pas nécessaire d’aller jusque là si l’on considère de manière triviale l’importance extraordinaire qu’a pris Jésus dans le monde. Il est partout, sous forme d’images, de croix à tous nos carrefours, dans nos églises, dans nos maisons, nos cimetières, etc. Sans compter que tout le monde en parle (ce qui est une forme de vie spirituelle), même les non-chrétiens, il est la figure même d’une civilisation judéo-« chrétienne » avec laquelle nous vivons et pensons, une civilisation qui promeut l’intelligence, la paix et la sagesse (même quand elle n’est pas un modèle ou qu’elle ne fait pas toujours mieux que les autres) que le monde admire et qui, en tous cas, reste un idéal indépassable. Alors si on n’appelle pas cela une résurrection ! Le moins qu’on puisse dire… c’est qu’il s’agit bien d’une vie après la mort.

Il en est de même dans les religions asiatiques (Bouddhisme, Indouisme, …) qui croient à la réincarnation après la mort. Celle-ci peut se voir comme une croyance gratuite, un délire de l’esprit humain, mais au sens le plus terre à terre décrit plus haut, cette idée est tout simplement vraie. Nous sommes bien réincarnés après la mort.

Et cette idée désuète d’anges gardiens, n’en sommes-nous pas tout simplement entourés ? Sous la forme d’une épouse, d’enfants, de collègues ou de voisins ?

Seconde approche, celle de Jean l’évangéliste

Afin d’illustrer tout ceci, voici ce texte d’évangile de Jean 14, 1-12, que j’aurais pu mettre en tête mais que je place volontairement ici afin de ne pas influencer, autrement dit afin de conserver au texte ci-dessus toute sa trivialité.

« • Jésus dit ceci : « Puisque vous me connaissez, vous connaîtrez aussi mon Père. Dès maintenant vous le connaissez, et vous l’avez vu. »
• Philippe lui dit : « Seigneur, montre-nous le Père ; cela nous suffit. »
• Jésus lui répond : « Il y a si longtemps que je suis avec vous, et tu ne me connais pas, Philippe !
Celui qui m’a vu a vu le Père. Comment peux-tu dire : ‘Montre-nous le Père’ ? Tu ne crois donc pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi ! Les paroles que je vous dis, je ne les dis pas de moi-même ; le Père qui demeure en moi fait ses propres œuvres. Croyez-moi : je suis dans le Père, et le Père est en moi ; si vous ne me croyez pas, croyez du moins à cause des œuvres elles-mêmes. »

Mes petits-enfants Alexandre et Julie : l’amour n’est-il pas dans notre nature ?

Jésus ne peut dire plus clairement que Dieu est en lui. Et l’Évangile de Jean le redit plusieurs fois sous d’autres formes, notamment lorsqu’il parle de l’Esprit Saint qu’il nous laisse et qui serait une part de Dieu en nous.

Les exégètes musulmans le disent également et la pensée du philosophe musulman Abdennour Bidar en est proche lorsqu’il dit que Dieu a laissé aux humains l’entière responsabilité du monde, ou lorsque le poète Al-Gazal nous dit que le coeur perçoit ce que l’oeil ne voit pas.

Bon, en disant tout cela je ne découvre rien puisque ces idées se retrouvent plus ou moins bien exprimées dans toutes les religions du monde si on veut bien les écouter. On croit toujours que les religions en rajoutent, et c’est vrai qu’elles en rajoutent, mais ce genre d’idée est tellement difficile à exprimer que tous, nous tournons autour du pot, incapables que nous sommes de dire ces choses, à la fois si incroyables et si simples.

Finalement, tout cela ne dépend-il pas essentiellement du contenu qu’on donne au mot Dieu ?

Troisième approche, celle de la physique quantique

Le phénomène d’intrication est l’une des caractéristiques observées par les chercheurs au niveau des atomes, donc de l’infiniment petit. J’insiste sur le terme « observé » car il ne fait plus de doute dans la communauté scientifique depuis longtemps. Il ne joue qu’au niveau des particules dont la petite dimension est difficile à concevoir : prenons comme référence un dixième de millimètre, ce qui est déjà plus fin qu’un cheveu mais on peut l’imaginer. Eh bien, la dimension de l’atome est un million de fois plus petite, et son noyau est lui-même 100 000 fois plus petit que l’atome. Difficile à concevoir mais c’est à cette échelle que jouent les phénomènes comme l’intrication.

Il dit que, lorsque deux particules sont intriquées (on sait le faire en laboratoire), si l’on agit sur l’une, peu importe la distance à laquelle elles se trouvent, jusqu’à des milliers de kilomètres, l’autre va réagir « instantanément ». Lorsque l’une reçoit une information, l’autre la reçoit « en même temps ». Et ce « en même temps » est important car il n’est même pas question d’un temps de voyage. Le transfert d’information est instantané. Ce n’est pas compréhensible par notre intelligence qui ne connait que les lois de la physique du monde palpable alors qu’il s’agit là du monde de l’infiniment petit que nous connaissons encore bien mal. Bien d’autres phénomènes étranges sont observés dans ce monde quantique comme celui de la superposition d’états dans lequel une particule peut être présente à la fois en deux endroits différents ou dans deux situations différentes.

Autrement dit, il existe un autre monde, si proche de nous que nous l’ignorons complètement, dans lequel tout est différent, les références de notre intelligence n’y sont plus les mêmes et nous ne les connaissons pas, ou très peu. Ce monde, qu’on appelle quantique, passionne des millions de chercheurs.

Partant de là, comment ne pas imaginer des applications triviales, par exemple que des particules de mon « être » puissent être intriquées avec d’autres particules, soit d’un monde inconnu, soit d’autres personnes ? Comment ne pas penser à cela et à mille autres possibilités surnaturelles ? Moi qui combats les croyances pour leurs effets dramatiques, et je persiste, il reste à espérer que la science nous éclairera. Alors qu’elle s’écarte (à juste titre) de la métaphysique, n’ouvre-t-elle pas aujourd’hui de nouveaux horizons ? Troublant ! Nos enfants perceront-ils ces mystères ? Voilà bien quelques idées farfelues. Loin de moi l’idée de les prendre trop au sérieux. Je me suis bien amusé en les écrivant. Elles ouvrent bien des portes, et en particulier celle de la modestie. 

Une réponse à “Le surnaturel et le Trivial”

  1. Commentaires de Simone Reverdy
    J’ai pris le temps pour te répondre, car ta remarque mérite qu’on s’y arrête. Les évangiles, surtout les paraboles, sont le lieu parfait de ce glissement entre « trivial » et « surnaturel », mais ta question va plus loin. Voici mon petit commentaire.
    Bien sûr qu’il y a continuité entre ces deux pôles ! Penser la vie, la mort, le désir… cela a toujours été. Dans toutes les civilisations, de la philosophie grecque aux sagesses orientales, du Vaudou aux monothéismes… les êtres humains ont été en quête de sens et construit des mythes, avec plus ou moins d’abstraction ou d’incarnation, de magie ou de mystères.
    Pour appréhender le Réel, nous usons de nos capacités d’imagination et de symbolisation. Ces 3 instances ainsi désignés par Lacan – Réel, Imaginaire et Symbolique, le Réel étant ce qui résiste, ce sur quoi on n’a jamais tout pouvoir, ni toute connaissance – me semblent éclairantes pour dire le travail de pensée, propre à l’humain.
    Depuis deux ou trois siècles, les sciences sociales ont investi ce vaste domaine de l’esprit en se déclinant, outre la philosophie et la théologie, en sociologie, psychologie, histoire, etc…ce qui n’empêche pas de ressentir de façon existentielle ce mélange de spiritualité et d’émotions que tu appelles le « trivial », mais qui fait aussi le « religieux ».
    Mais au-delà des spécialités intellectuelles telles que définies par le mode de pensée occidental, il y a d’autres modes de pensée qui nous sont complètement étrangères. J’ai compris cela grâce à un philosophe contemporain exceptionnel que j’ai découvert il y a peu, François Jullien. Il s’est enfoui dans le pays, la langue et l’esprit classiques chinois pendant de longues années pour « décoller » du mode de pensée héritée du classicisme grec, et en tirer une formidable ouverture. Deux de ces livres m’ont passionnée, « La pensée chinoise » et surtout « Les ressources du christianisme » (où il ne se dit pas « croyant »). Pas gros mais denses. Sur YouTube tu trouves ses conférences, plus faciles pour aborder sa pensée. Je pense qu’il t’intéressera.
    Un autre bouquin peut aussi t’intéresser sur le thème de la Résurrection, qui est effectivement un bon exemple de réflexion sur la continuité entre naturel et surnaturel : « Résurrection, une histoire de vie » de Daniel Marguerat, fameux théologien protestant. Il vient de sortir un livre passionnant d’historien : « Vie et destin de Jésus de Nazareth » qui montre bien le passage indécis entre la révélation et l’interprétation.
    Croire n’est pas savoir, faire confiance ne nous assure de rien. Mais peut-on renoncer à s’arracher de la contingence ?

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