Le temps de réfléchir
Comment réussir sa retraite ? Sauf accident, on vit maintenant très longtemps en retraite. Ça mérite de s’y préparer avec autant de soins qu’une carrière professionnelle. Ayant eu la chance de bien choisir mon activité de retraite, je vais raconter ma démarche. D’abord le loisir d’y réfléchir plusieurs années à l’avance dès lors que mes enfants avaient quitté le nid familial et parce que, rentré chez moi après le travail, je cherchais déjà comment m’occuper. Que pourrais-je bien faire dans mes temps libres, et que pourrais-je faire lorsque la retraite arriverait ?
Devant l’importance de la question, j’en étais venu à la nécessité de fixer les critères qui guideraient mon choix. Au fil des jours, j’en trouvais trois : 1 – Que cette activité soit utile, socialement utile. 2 – Une activité que d’autres ne feront pas de toutes façons, par exemple pourquoi vouloir devenir maire de ma commune puisque d’autres le veulent, autrement dit « quelque chose que d’autres ne feront pas si je ne le fais pas ». 3 – Que cette activité me passionne, sur le fond et sur la forme.
Et c’est de cela, le fait d’établir des critères, que je veux témoigner ici afin que d’autres s’en inspirent. Ce fut une bonne approche dont, 30 ans plus tard, je me félicite encore. Elle me permit de trouver une forme de travail passionnante. Non pas que je recommande mes critères, à chacun de trouver les siens, mais bien plutôt la méthode.
Quelle fut donc mon activité de retraite ? J’en étais là de mes critères lorsqu’un jour, vers 1987, mon ami Bernard Reverdy me parla de méthodes non violentes pour résoudre des conflits graves ou éviter des guerres. Il conseillait la lecture d’un petit livre en cours de rédaction collective. Je suivi le conseil et pris part au collectif de rédaction. Intéressé, je me procurai un autre livre sur le sujet « La dissuasion civile » qui expliquait qu’en cas d’agression des pays communistes contre l’Europe de l’Ouest (on était encore en période de guerre froide), nous n’utiliserions pas nos bombes atomiques (malgré la doctrine officielle) mais que la puissance de refus collectifs massifs et de désobéissance civile des peuples occidentaux pouvait faire échec aux forces militaires communistes. La puissance des masses civiles pouvait faire échec à la puissance militaire ! Des exemples réussis étaient cités. Des chercheurs avaient travaillé.
Le hasard fit encore que Bernard Reverdy, à qui je parlai de ce livre (étonnant à mon sens pour la paix), m’indiqua une réunion qui devait avoir lieu prochainement autour de Louis Besson, député-maire de Chambéry, ministre des transport d’un gouvernement de gauche, ancien militant actif de la non-violence, afin de lui demander pourquoi il soutenait un gouvernement qui supportait la dissuasion nucléaire française alors qu’il la condamnait autrefois. Malgré l’esprit non violent de cette réunion, j’y allai et, en une heure d’exposé, Louis Besson expliqua la nécessaire obligation de composer avec les réalités du pouvoir… Il nous quitta et nous nous retrouvâmes seuls (une vingtaine) à nous demander ce que nous pouvions faire entre notre admiration pour Gandhi et les réalités de la guerre. Nous ne pouvions en rester là et, après quelques échanges, nous envisageâmes une conférence dans une grande salle de Chambéry. Oui, mais que dire ? Qui avait une idée ? Je levai le doigt pour évoquer le livre étonnant que je venais de lire et proposai d’en parler. Un autre déclara qu’il pouvait parler de la non-violence sur le plan philosophique et un autre sur le plan économique. L’affaire était bouclée. Notre conférence eut lieu et fut un succès. Pour conclure, on proposa aux participants intéressés par l’un des speechs d’inscrire leur nom et leurs coordonnées sur l’une des trois feuilles posées au fond de la salle, correspondant à chacun des trois orateurs. Je récoltai une petite dizaine de noms !
Cela m’encouragea et j’invitai ces personnes à une réunion afin d’envisager une suite plus concrète. Et voilà comment débuta une petite association savoyarde « Collectif dissuasion civile » qui m’offrit une activité passionnante. L’équipe était jeune et variée, elle se retrouva tous les mois à Arbin avec, pour commencer, un petit repas sympa de Catherine. Que pouvions-nous faire d’utile ? Nous n’étions pas grand-chose. Nous décidâmes de faire quelque chose à notre portée : faire connaître les travaux de nombreux chercheurs et intellectuels sur le sujet de la « défense civile non violente ». Et pour commencer : le connaître nous-même. Pour cela, on décida de lire, d’échanger sur nos lectures et surtout de rédiger une plaquette expliquant de manière simple le processus de résistance massive d’un peuple contre l’oppression ou contre une agression militaire.
Les associations de promotion de la non-violence étant les plus avancés sur ce sujet, nous achetâmes leurs revues et participâmes à leurs rencontres. Elles nous apprirent beaucoup. L’ennui était qu’elles travaillaient trop peu sur la défense, occupées qu’elles étaient par tout ce qui touchait aux droits de l’Homme, à l’idéologie non violente, à l’écologie et aux idées de gauche. A mon sens, en matière de non-violence, elles commettaient une erreur fondamentale qui inspirait toute leur action et qui résidait dans leur définition de la violence : pour eux, la violence est bien plus que physique, elle est dans une parole, dans une attitude, dans nos modes de vie, dans une politique, dans tous les pouvoirs qui sont intrinsèquement violents, bref elle est partout dans le monde et de ce fait, la non-violence se retrouve avec une définition élargie à l’extrême qui n’a plus rien à voir avec son sens originel, tel qu’il est compris par le public : l’absence de violence physique. On se retrouve dans l’ambiguïté et l’impossibilité de se comprendre : pour les non violents elle devient l’essentiel de toute philosophie. Ainsi, non seulement toute guerre représente le mal absolu, l’armée est un lieu d’horreur, le militaire est toujours caricaturé comme cruel et stupide, mais tout pouvoir est violent voire inacceptable. Non seulement celui des gouvernants mais celui des chefs et autres patrons, et même celui des parents !
De notre côté, l’idéologie nous intéressait moins que l’efficacité des méthodes et processus de résistance massive qui étaient prouvée par des réussites historiques sur le terrain. Pour nous, la défense civile non violente représentait, non pas une panacée mais une stratégie supplémentaire en matière de défense nationale contre une invasion étrangère toujours menaçante. Nous ne voulions pas nous disperser sur tous leurs sujets car le nôtre exigeait qu’on s’en occupa sérieusement et même exclusivement.
En fait, nous découvrîmes tout un monde. L’histoire internationale depuis un demi-siècle abondait de situations de résistances civiles extraordinaires et personne n’en parlait hormis quelques cas médiatisés comme celles de Gandhi ou Martin Luther King. Plus encore : de nombreux chercheurs les avaient étudiées et avaient compris pourquoi tantôt elles avaient réussi ou échoué. Bref, puisque c’était si important pour la paix et si mal connu, tout un champ de travail s’ouvrait à nous et occupa nos temps libres durant de longues années… jusqu’aujourd’hui où un travail énorme de communication reste à faire pour que les peuples ne partent pas en résistance la fleur à la boutonnière mais après une sérieuse préparation. Il y a là tout un savoir-faire, toute une science que j’assimilais peu à peu et essayais de transmettre par mille moyens : traduction et publication pour la francophonie de 5 livres de Gene Sharp[1], écriture d’un livre, rencontres d’autorités diverses en matière de défense nationale, articles en diverses revues, même militaires, exposés ou conférences en divers pays (Suisse, Angleterre, Italie, Croatie, Russie, Pays-Bas, Etats-Unis, Espagne…) et donc voyages et rencontres enrichissantes à l’étranger. Pour tout cela, l’École de la paix de Grenoble m’ouvrit des portes et je l’en remercie. Notre première association s’était transformée en « Action Civile et Défense » lors de l’écriture de notre premier livre[2] qui avait deux buts : faire connaître le sujet en le débarrassant de son étiquette non violente et amener les stratèges de la défense nationale à intégrer ces processus de résistance dans leurs stratégies. J’y fus grandement aidé par Xavier Olagne, membre de notre association, qui rédigea le difficile chapitre II et m’assista intelligemment pour tout le reste. Je ne le remercierai jamais assez, d’autant que c’était mon premier livre et que j’avais tout à apprendre du travail d’écrivain. Notre groupe disparut du paysage suite aux déplacements géographiques de ses militants. Mais, l’histoire récente nous donnât raison avec la multiplication extraordinaire dans le monde de résistances massives de populations excédées par des pouvoirs iniques et corrompus.
Extension de mon activité de retraite. Du coup, passionné par l’histoire et l’actualité des guerres, des conflits et de la géopolitique, j’ai énormément lu, écouté, écrit et je découvris le monde bien mieux et autrement que par tous les voyages. Le fait d’écrire en murissant un texte durant plusieurs mois est sans doute le meilleur moyen d’apprendre car il vous oblige sans cesse à remettre en cause ce que vous avez écrit, à le peaufiner pour trouver la bonne nuance, le juste mot et donc à chercher sur Internet ou dans les livres les informations qui vous manquent, des réponses aux petites questions qui se posent. A la fin de l’écriture, vous ne pensez plus du tout la même chose qu’au début. Enrichissement garanti.
En fait, c’est un détail, mais il s’est avéré déterminant pour moi, c’est la possibilité, en écrivant sur ordinateur, de pouvoir effacer, copier, coller, et revenir sur une phrase ou des passages auxquels on a pensé la nuit ou en marchant. Sans ordinateur, je n’aurais pas eu cette possibilité de progresser en écrivant au jour le jour le fruit de mes fréquentes méditations. Écrire ainsi, est un puissant moyen de mise en ordre de vos pensées. Et si d’autres gens fonctionnent comme moi, j’imagine que l’ordinateur est une puissante source de progrès de l’humanité.
L’exemple le plus frappant est la transformation intérieure qu’a provoqué chez moi l’écriture du livre sur les croyances[3]. Je l’ai écrit en constatant l’importance dans les guerres des croyances de type certitude. De mes trois livres, c’est sans doute le plus important en ceci que j’y vois une description de la foi chrétienne telle qu’elle évoluera forcément dans le futur. C’est à dire une foi débarrassée de ses oripeaux surnaturels, centrée non plus sur des croyances mais sur une adhésion, une confiance en l’homme Jésus (ou Mahomet ou Bouddha…) et certainement sur une espérance. Une foi beaucoup plus responsabilisante et moins enfantine. Si vous méditez sur un tel sujet durant plusieurs années en lisant, écoutant, écrivant et corrigeant au fil des jours, vous ne pouvez parvenir à autre chose. Ainsi, je me permets de penser que ce livre sera lu avec un intérêt grandissant dans quelques années. Heureusement pour ma modestie, d’autres penseurs et théologiens ont suivi des chemins proches du mien. Points communs : Sortie des dogmatismes – Foi personnelle – Religion personnelle et moins collective – Confiance et non plus croyance – Démythologisation – Jésus comme homme (même s’il est aussi Dieu, ce qu’on ne sait pas, mais toutes les religions disent que nous avons en chacun de nous une part de Dieu !) – Conserver l’idéal chrétien, ses valeurs – Devenir pleinement homme.
L’écriture de ce livre fut motivée par l’islamisme montant en France et dans le monde. Je voulais réfléchir sur ce sujet qui, avec l’immigration montante et les problèmes de plus en plus graves dans les banlieues, devenait de plus en plus inquiétant pour la paix et le vivre ensemble. Mais, avant d’écrire sur le sujet, il m’apparut indispensable de réfléchir d’abord sur ma propre religion. Cela me demanda 4 à 5 ans de travail.
C’est ainsi que, conforté sur mes bases, je pus entrer dans une longue méditation sur l’islamisme et la religion musulmane. Mon idée était qu’on en parlait beaucoup mais qu’on ne proposait guère de solution. Comme je ne connaissais pas le sujet, je lus une soixantaine de livres sur le sujet, aussi diversifiés que possible. Ainsi, fort de mes connaissances acquises sur les résistances et sur les croyances, je pus centrer mon travail sur la recherche de propositions[4] et ainsi faire un travail original et constructif.
Pour conclure, je demanderai pardon au lecteur d’avoir tant parlé de moi, et à la fois pour le remercier par une belle image et moquer mon égocentrisme, voici l’une des plus belles créations de la nature, le paon.
[1] • La guerre civilisée – la guerre par actions civiles, Gene Sharp, aux PUG, Grenoble 1995
• La force sans la violence, Gene Sharp, Editions de L’Harmattan, Paris 2015
• L’anti-coup d’État, Gene Sharp, L’Harmattan, Paris 2015
• De la dictature à la démocratie, Gene Sharp, L’Harmattan, Paris 2015
• La lutte nonviolente – Pratiques pour le XX° siècle, Gene Sharp, Ecosociété, Montréal 2015
[2] • La guerre par actions civiles, Jean Marichez et Xavier Olagne, Fondation pour les Études de Défense, La documentation française, Paris 1998
[3] • Croyances meurtrières – Essai pour la paix, Jean Marichez, L’Harmattan, Paris 2011
[4] Face à l’islamisme – 44 idées pour une stratégie de paix, Jean Marichez, Riveneuve, Paris 2015